LA GOULUE, LA PREMIERE CANCANEUSE DE PARIS
14.02.2017 - tous au cabaret !

Brouillon de Michèle :

LA GOULULE.

La Goulue était danseuse de cancan, ou cancaneuse.

Elle s’appelait Louise Weber, était née le 12 juillet 1866 à Clichy-la-Garenne, actuellement commune de Levallois-Perret. Son père, Dagobert Weber, charpentier, Alsacien, était tombé amoureux de Madeleine Courtade qui vendait du  beurre au panier sur le marché d’un petit village d’Alsace. On la nommait « La romanichelle » car elle était restée dans une ferme après le départ des Tziganes.

Dagobert la « prit une fois pour toute », par un matin de janvier alors qu’elle lavait, grelottante, au bord de la rivière, le linge de la ferme. Il l’a prise et l’a mariée. Il était ouvrier à la forge de son père qui l’exploitait davantage que ses autres ouvriers… Ils ont pris le chemin, se sont installés à Clichy. Madeleine a ouvert une blanchisserie dans un local loué par son beau-frère Georges, cocher de fiacre, qui exigeait un loyer au prix fort.  Chez Madeleine tout était propre « on aurait pu manger parterre ! ».  Dagobert était ouvrier. Il s’ « économisait » après sa longue journée de travail : il n’allait pas boire à la sortie de l’usine.

C’est donc au 1 rue Martre à Clichy que Louise-Joséphine Weber, dite « Loulou » a passé ses premières années avec son frère qui a 2 ans de plus qu’elle, et sa sœur 4 ans…

Et puis la guerre de 1870 est arrivée, Madeleine est partie avec un autre homme, Dagobert  lui a perdu ses deux jambes, il meurt en 1873.

« Loulou » avait déjà débuté au bal public à l’Elysée Montmartre pour les enfants d’Alsace-Lorraine (territoire cédé par la France à l'Empire allemand en application du traité de Francfort, signé le 10 mai 1871 après la défaite française).Ce bal était présidé par Victor Hugo et la comtesse Céleste Mogador.

En avril 1874 elle est recueillie par son oncle Georges à Saint-Ouen. Elle apprend le métier de blanchisseuse, comme sa mère.

A l’âge de 13 ans, elle rencontre son premier amour qui lui donne ses premiers plaisirs dans une roulotte.

A 15 ans elle décide de fuir la maison de redressement, elle rencontre son premier amant, un beau militaire, puis lorsqu’il doit retourner dans sa caserne, c’est Edmond qui  devient son ami. Petit fonctionnaire, il  lui paye une chambre à Montmartre,  la couve de cadeaux, et ira même à simuler un cambriolage dans sa maison pour voler les bijoux de son épouse et les offrir à « Loulou »…

 « Loulou » s’installe boulevard Ornano avec son nouvel ami Charlot. Un jour il  « affûte des pincettes [1]», elle est malheureuse..

Malgré son chagrin, elle ne va pas « viauper[2] » tout de même !

« Loulou » devient modèle des peintres et photographes. Elle se fait payer par les « fils à papa » et elle pose gratuitement pour des peintes qu’elle affectionne. Comme elle le fait pour Auguste Renoir, dont elle disait «Je danse, on m’oubliera,  Renoir  peint, il restera ! »

Le jour elle travaille comme « poule d’eau [3]», le soir elle danse… dans les vêtements des clientes !

Dans la revue Gil Blas, une rubrique est réservée à la promotion des demi-mondaines, Charles Desteuque, journaliste, remarque « Loulou» lorsqu’elle débute dans une revue, au cirque Fernando. Elle va aimer ce journaliste, il l’aime aussi mais elle doit devenir «ambulante» ou « cato[4] » pour qu’ils puissent « se caresser l’angoulême », se « caler les chocottes », « taper sur les vivres [5]». Charles Desteuque  est amené par la Police, Loulou va sombrer dans la prostitution. On dit de cette époque que « La Goulue est une perle sortie d’une fosse d’aisance ».

Mais elle continue à aller danser le soir et elle rencontre Gaston Chilipane, qu’on appelait « Goulu Chilapane » et c’est ainsi qu’on lui donne le nom de « La Goulue ». Elle l’aimait, et puis il l’amenait danser tous les soirs. C’est un peintre, un richard, il habite avenue Foch, fils de diplomate. C’est en quelque sorte lui qui la sort des bas-fonds.

Elle rencontre un autre Charles qui la remet dans le circuit artistique et surtout il est très jaloux « Je vais crever La Goulue, crie-t-il partout lorsqu’il sent qu’elle lui échappe ». Il l’a bat aussi. Mais il devient en quelque sorte son impresario. Dans cette période elle est plus dans le côté artistique que dans la prostitution.

Elle est alors « prise en main » par Grille-d’Egout et Céleste Mogador qui la font débuter au Moulin de la Galette et à l’Elysée-Montmartre en tant que danseuse ainsi qu’à Montparnasse, au Bal Bullier et à la Closerie des Lilas.

Fille de rien, La Goulue va tout faire pour se faire remarquer. Elle doit fuir un milieu violent, beaucoup d’hommes tournent autour des filles jolies qui essaient de s’en sortir. Elle aime la danse et c’est donc, d’ailleurs accompagné de ces danseuses plus confirmées que La Goulue apprend le « quadrille naturaliste » ou « cancan » ou « chahut ».

Une nouvelle danse vient d’arriver : Le « chahut ». Elle avait pour origine la « chachucha » une danse andalouse importée par Fanny Elssler sur la scène de l’Opéra de Paris en 1836. La danseuse devait porter un corsage échancré, une robe courte  et utilisait tout son corps pour s’exprimer. Baptisée « chahut », puis « chahut-cancan ». On pense que « cancan [6]» vient du fait que cela vienne de l’imitation de la démarche du canard. Considérée comme dépravée, cette danse a été reprise dans les bals d’étudiants puis les bals populaires.  C'était une danse où les danseurs s'exprimaient par des figures nouvelles et des sauts allant jusqu'au grand écart. Pour exécuter les figures, les danseuses relevaient leurs jupes à mi-mollet, ce qui faisait scandale à l'époque. Un garde municipal avec bicorne et grand manteau veillait à ce que ces figures restent dans une certaine décence, allant jusqu'à arrêter les contrevenantes pour « outrage public à la pudeur ».  Dans les années 1880–1890, les femmes s'enhardirent jusqu'à faire le « coup de pied à la Lune » ou « grand écart debout ». Le garde municipal, rebaptisé « père la pudeur », veillait à ce que les femmes n'exhibent pas de dessous trop intimes.  À la fin du XIXe siècle, la danse prit une nouvelle forme, le french cancan, qui était une danse de spectacle – et non plus de bal – pratiquée par des danseuses professionnelles, avec des figures encore plus provocantes et des dessous encore plus affriolants (et notamment des culottes fendues ou pas de culotte du tout). En 1850, Céleste Mogador, vedette du bal Mabille avait lancé le cancan, une nouvelle danse d'environ huit minutes au rythme endiablé, sur des airs entraînants de la musique festive de danses parisiennes de l'époque. Faisant preuve d'équilibre et de souplesse à la limite de l'acrobatie, les danseuses de cancan dans leur costume affriolant faisaient  perdre la tête au Tout-Paris.

Le cancan cristallise l'image d'une société parisienne frivole et canaille, proche de celle décrite caricaturalement dans La Vie parisienne d'Offenbach. Sur une scène, des femmes montrent leurs dessous, soulèvent leurs dentelles : la provocation mêlée de complicité fait fureur.

Les bas noirs, jarretelles et frou-frou prennent des surnoms très imagés et largement connotés sexuellement.

Par la suite, on a dérivé du cancan une forme touristique et très édulcorée, baptisée French cancan, que les femmes dansent en rang, face au public, en portant des culottes fermées.

En s'inspirant de cette danse, le producteur anglais Charles Morton  invente une nouvelle forme de ballet : le French cancan. Censé émoustiller le public anglophone par l'évocation de la liberté sexuelle française et exécuté principalement sur des airs de Jacques Offenbach, figure emblématique du Second Empire.

Nota : Si le french cancan est toujours associé à Offenbach, Offenbach n’a jamais écrit un french cancan. La musique que l’on  a l’habitude d’entendre est tirée d’un Opéra d’Offenbach appelé Orphée aux enfers et c’est un « galop », une danse qui va très vite. C’est ce galop d’Offenbach qui est utilisé pour que les danseuses lèvent la jambe, etc… C’est ce qu’on appelle au Moulin Rouge le « french cancan ».

 

Le cancan peut être vu par certains comme symbolisant une première ébauche de libération sexuelle et d'émancipation de la femme, qui est cette fois-ci celle qui séduit. Il peut aussi être vu par d'autres comme un simple aspect annexe et spectaculaire de la prostitution. Quantité de caricatures et textes du XIXe siècle soulignent souvent de manière appuyée le caractère vénal des femmes qui participent aux cancans.

Certes, celles qui étaient émancipées pouvaient être considérées de façon péjorative comme des prostituées mais la prostitution était certainement également présente dans les bals. Le Guide des plaisirs de Paris de 1898, quant à lui, donne cette description des danseuses : « Une armée de jeunes filles qui sont là pour danser ce divin chahut parisien, comme sa réputation l'exige […] avec une élasticité lorsqu'elles lancent leur jambe en l'air qui nous laisse présager d'une souplesse morale au moins égale. »

C’est au Moulin de la Galette que La Goulue rencontre Valentin le Désossé. Il doit son nom à ses talents de danseur et de contorsionniste. Il écluse les bals et les guinguettes de la Belle Epoque, excellent danseur. Il repère très vite cette jolie fille au franc parler qui lève la jambe comme personne.

En effet, La Goulue est plus jolie que les autres danseuses, elle a une jeunesse, une énergie et une fougue indomptable. Elle a aussi une capacité supérieure de fasciner les spectateurs parce qu’elle est magique avec sa petite frange, son port de reine, elle a un côté un peu noble des femmes racées et même si elle a des allures vulgaires, ce franc parler, c’est ce qui fait son charme parce que c’est instinctif, tellement naturel que ça en devient surnaturel !

Cette énergie n’échappe pas à Joseph Oller[7], un homme d’affaire très, très riche. Inventeur du PMU, incontournable dans le milieu des courses, il possède en plus  un énorme carnet d’adresse. Oller veut investir dans Montmartre le quartier qui « grimpe ». Il veut ouvrir un lieu qui attire le « tout Paris ». Un lieu à la fois fréquentable et excitant. Son idée : créer le palais de la femme plaisir.

Avec La Goulue il sent qu’il tient le bon filon. Il l’a repère tout de suite car il voit que tous les regards des hommes sont dirigés vers La Goulue. Même à l’Elysée Montmartre, où elle n’est pas engagée pour danser, elle ne paye pas son droit d’entrée pour danser parce que les propriétaires de l’Elysée Montmartre savent bien que lorsque La Goulue se met à danser tous les messieurs font la regarder et elle attire bien sûr du monde…

Oller, homme d’affaire averti, se dit qu’il va l’engager au Moulin Rouge flambant neuf.

Elle devient effectivement très vite la plus célèbre danseuse du Moulin Rouge.

On est à la Belle Epoque. Nom qui a été donné bien plus tard. Pourquoi, il n’y a pas eu de guerre pendant 40 ans La grande misère côtoie les extravagances, les inventions se succèdent, l’électricité, le téléphone, le cinéma, l’aviation… Paris compte 300 000 rentiers qui se sont enrichis grâce à l’industrie et qui n’ont qu’une obligation : se distraire. C’est une période de joie de vivre, de champagne, de grandes fêtes. Les cafés rivalisent  pour attirer le public, même si c’est parfois à ses risques et périls.

1889 est une année importante pour Paris. C’est l’exposition universelle avec la construction de la Tour Eiffel. Le Paris populaire doit se déplacer à l’extérieur de la ville et Montmartre, comme je vous l’ai dit, devient le lieu des plaisirs où des dizaines de petits cabarets se créent où se retrouvent les artistes.

Paris au XIXe siècle est complètement transformé.

En 1860 on décide que toutes les communes aux alentours soient intégrées à la ville de Paris, la plus grande partie de Montmartre, située à l’intérieur de l’enceinte de Thiers[8],  est rattaché au 18ème arrondissement, appelé « Butte-Montmartre », et la petite partie restante, hors enceinte, est rattachée à la commune de Saint-Ouen. 

Le 06 octobre 1889 c’est l’inauguration, le Moulin Rouge est le centre du Monde et… La Goulue en est la reine !

Oller s’inspire de l’époque lointaine ou 25 moulins tournaient encore sur la butte Montmartre et avec  son associé Zidler il s’engage dans la construction du fameux Cabaret surmonté d’un Moulin.

La première soirée au Moulin Rouge c’est l’événement du siècle, c’est là qu’on doit être ce soir là. A l’intérieur c’est du jamais vu : c’est le premier établissement ou les très riches vont côtoyer des danseuses populaires et où ils vont pouvoir s’encanailler.

C’était çà l’idée de Joseph Oller, faire un temple de la danse avec un luxe supérieur aux autres cabarets. C’était une salle qui a surpris tout le monde par sa simplicité mais avec beaucoup d’oriflammes réalisé avec les premiers éclairages électriques, avec des guirlandes qui faisaient une quantité de lumière terrible et… juste à côté le jardin qui était assimilé à un immense parc d’attractions.

Pour attirer la foule Oller et Zidler ont vu les choses en grand ! Un parc d’attractions avec son éléphant géant pour faire sortir les Parisiens et les faire rire. On pouvait faire des promenades sur des ânes, il y avait des petits singes, des pigeons… c’était le temple du rire ! On sortait  pour rire de tout, à Paris, à cette époque là et en permanence. Comme les femmes n’arrêtaient pas de rire… les corsages explosaient ! Tellement qu’on riait, il y avait des femmes qui s’évanouissaient.

Il y avait même une attraction réalisée par « Le Pétomane ».

Mais tout cela n’était que mises en bouche, car ce que tout le monde venait voir, c’étaient les danseuses et l’exubérance de La Goulue. A 22 h le jardin se vidait, on se pressait dans la grande salle de bal.

Il y avait du beau monde ! Des ducs, des princes, des comtes. L’impatience grondait, la tension montait, tous n’attendaient qu’une seule chose : le cancan et La Goulue !...  C’était à 11 h pétante tous les soirs !

Au moment où elle lève la jambe, qu’elle tourne sur elle, on voit que tous les messieurs essaient de passer… Il y a beaucoup de monde, ils entourent tous le quadrille. Il y a un bruit terrible (le cancan ça fait du bruit sur le plancher), les tables commencent à trembler un petit peu autour, les messieurs se bousculent car… ils espèrent tous voir dans l’entrebâillement un tout petit peu de chair au moment où La Goulue va faire le grand écart ! C’est un rythme endiablé, complètement fou.

La Goulue est indissociable, à cette époque du Moulin Rouge.

Loin du monde corseté de leur respectable épouse, c’est là que les bourgeois viennent s’encanailler, oublier leur femme et goûter les plaisirs interdits.

Il y a une telle misère ouvrière que la butte Montmartre que la prostitution est endémique.

Il y a un nombre incroyable d’ouvrières qui viennent y faire leur « cinquième quart ». La plupart des pauvres filles ne pouvaient pas nourrir leur famille et elles étaient obligées de se prostituer pour nourrir leur famille. Cette situation ne se trouve pas qu’à Montmartre, à Paris, dans toute la France et partout en Europe.

Rappelez-vous, c’est l’époque des « belles courtisanes » (La Belle Otéro, Liane Pougy, Emilienne d’Alençon…) illustrées par le roman d’Emile Zola « Nana »… (La Belle Otéro disait, la fortune vient en dormant… mais pas seule !).

Elle attire les hommes avec sa  « gouaille », elle est enjouée, elle soulève ses jupes, elle invective les hommes et… elle est très forte pour faire tomber d’un coup de jambe le « cabochard [9]» des messieurs.

« Moi ce que je veux c’est gambiller tous les soirs. La danse et l’amour j’en ferais bien ma vie. Seulement je suis née décharde. Ah ! ça non, je ne regrette pas ma vertu. Et puis j’espère bien me caler les chocottes avec autre chose qu’un quignon de pain de huit jours [10]».

Les filles qui dansent à l’époque n’étaient pas les danseuses de notre époque. Elles n’étaient pas des « canons » de beauté. D’ailleurs elles devaient être à la hauteur de leur surnom : « La môme fromage »,  « Demi Syphon » « Nini patte en l’air » « Rayon d’or » « Jane Avril »…. Certaines n’étaient pas bien payées, elles devaient donc offrir aux messieurs ce qu’ils attendaient d’elles pour pouvoir boucler les fins de mois.

Elles prenaient soin de leur apparence, de leur hygiène. La Goulue était très propre et quand on lui disait « En voila une idée de se lessiver en grand au beau milieu de la semaine », elle rétorquait « Ca me vient de ma mère. Je n’aime pas me débarbouiller comme les chats, par petits bouts. Pauvre, mais propre !  V’là toute mon éducation ! Un jour un bourgeois a lâché devant moi que le petit peuple se reconnaissait à sa puanteur. J’te lui ai jambonné le blair ! - Et ça ? Qu’est ce que ça sent, à ton avis ? – que je lui ai fait. »

Je fais un aparté : à l’époque on aimait les poils, les femmes ne s’épilaient pas. Les poils étaient un signe de féminité, de bonne santé !

La Goulue sait que tout ce qu’elle a, elle le doit à son audace, son inconscience, son culot. Aujourd’hui encore le Moulin Rouge sait aussi ce qu’il lui doit….

Peut-être aussi des Artistes comme Auguste Renoir  et surtout Toulouse Lautrec qui s’est surtout fait connaître avec les affiches de La Goulue.

La Goulue est placardée dans tout Paris, la jupe soulevée et la jambe en l’air. Une affiche qui fait scandale à l’époque où les femmes ne dévoilent même pas leur cheville. Un scandale mais surtout une merveilleuse publicité pour l’affiche dessinée par Toulouse Lautrec qui a ainsi scellé le destin de La Goulue et du Moulin Rouge, et le sien par la même occasion.

Les rapports que La Goulue avait avec Toulouse Lautrec, son « petit bonhomme » sont assez ambigus, assez compliqués mais il y avait, c’est sûr, une très grande complicité entre eux. Lautrec a le tempérament d’un homme absolument libre et… La Goulue c’est exactement la même chose ! Ils n’ont rien à faire d’institutions, de morales, de religion… On peut ajouter qu’ils ont aussi  en commun la boisson !

La Goulue avait le plus haut lever de jambes (on aurait dit que sa jambe allait se détacher de son corps) de toute sa troupe qu’elle appelait « sa chiée » et Valentin le Désossé en faisait partie. Tous les deux faisaient un duo.

A 27 ans La Goulue est au sommet de sa gloire, elle est au Moulin Rouge depuis un peu plus de 4 ans. Grisée par son succès elle n’en fait qu’à sa tête.

Elle boit trop, elle commence à arriver en retard aux répétitions, et se pavane parfois avec… une chèvre tenue en laisse.

La Goulue est devenue un mythe, le Moulin Rouge c’est elle. Elle est intouchable. Elle est la star du Moulin Rouge, elle s’en rend compte, les gens viennent bien pour la voir, elle.

Pendant quelques années La Goulue  rayonne et peut se permettre toutes les audaces.

Elle s’achète un appartement et ne se déplace plus qu’en voiture, comme les dames.

C’est elle qui inaugure l’Olympia !

Elle danse aussi aux « Jardins de Paris », cabaret sélect réservé aux aristos, sur les Champs Elysées (sur l’emplacement du Petit Palais d’aujourd’hui).

C’est dans ce cabaret qu’elle se permet même d’interpeller le prince de Galles, le futur Georges V « Hé, Galles ! Tu paies l'champagne ! C'est toi qui régales, ou c'est ta mère qui invite ? ». C’est la stupeur dans la salle mais… ça passe ! Le Prince de Galles lui rétorque « La Goulue vous êtes le plus bel esprit sur les plus belles jambes qui soient ! »

Mais La Goulue fait des envieuses, les autres danseuses rongent leur frein et attendent la faute.

Un soir on frôle le drame, La Goulue en vient aux mains avec une nouvelle danseuse Aïcha. Cette querelle avait été provoquée par Toulouse Lautrec. Elles se sont données rdv après le spectacle, sur le pont Colincourt, avec des témoins (Un duel !). Elles en sont venues aux mains vers minuit, Aïcha a eu le dessus et c’est grâce aux gens qui étaient autour qu’on a pu récupérer La Goulue, car elle a failli passer par-dessus la rambarde du Pont.

En 1895 le succès lui monte à la tête. Elle décide de partir du Moulin Rouge. Elle a beaucoup d’argent, elle se dit « moi j’arrête le Moulin Rouge, j’ai pas besoin du Moulin Rouge, je vais faire autre chose et vous verrez j’aurais autant de succès ».

En fait elle est enceinte.

Elle est très riche. En pleine gloire elle quitte donc le Moulin Rouge étourdie de tant de succès.  

Elle loue l’hôtel de la Païva, avec domestiques et elle mène grand train…  Elle invite, elle régale, elle arrose. Elle aussi mange beaucoup… boit ! Elle grossit.

Elle devient dompteuse de lions, elle s’expose à la foire ou on vient la voir : elle a tellement d’histoires à raconter.

Elle se produit dans les cirques et les fêtes foraines mais son public l’abandonne rapidement.

Elle a toutes sortes d’aventure avec des personnages qui tiennent des baraques foraines, à Neuilly, à Vincennes, à la foire du Trône, on la voit un peu partout, même sur le boulevard de Montmartre avec sa roulotte et c’est la déchéance parce qu’elle boit et qu’elle n’a plus de succès du tout.

Elle se retrouve dans une roulotte à la porte de St Ouen, miséreuse, bouffie, énorme, alcoolique dépendante.

En 1923 la mort de son fils, Simon-Victor, n’arrange pas les choses… bien que ! Il n’était pas sympa avec elle, il avait des dettes de jeu, il faisait la fête. Elle l’a toujours soutenu et a été gentille avec lui.

En 1928 elle croise sur le trottoir du Moulin Rouge Mistinguett qui est la grande vedette du Moulin Rouge de l’époque. La Goulue vend des fleurs sur le trottoir, elle s’approche de Mistinguett et lui dit « Madame vous ne me reconnaissez pas, je suis La Goulue ». On dit que Mistinguett lui aurait donné de l’argent et qu’elle avait été très peinée de la voir comme ça sur le trottoir du Moulin Rouge.

La Goulue meurt alcoolique et malade en 1929, enterrée à Pantin il n’y a que 4 personnes pour suivre son cortège, mais sa tombe sera toujours fréquentée par les « perdus » de Paris.

En 1992 la ville de Paris décide de transférer les restes de La Goulue au cimetière de Montmartre. 2000 personnes sont présentes  (La Toya Jackson) et elle repose donc maintenant tout à côté du lieu qui a fait sa gloire : le Moulin Rouge !

Il ne faut pas croire que le Moulin Rouge avait survécu à son départ…

Aujourd’hui elle fait partie de l’histoire du Moulin Rouge, on ne l’oublie pas.

La butte Montmartre à cette époque est en pleine mutation, la population augmente, en grande partie par les habitants chassés de Paris à la suite des travaux du baron Haussmann.

André Gill  (Chansonnier, caricaturiste, peintre, poète…) écrit au sujet du Moulin de la Galette : « Un orchestre d'estropiés / Donne le branle à cette foule / On s'écrase les pieds / On chahute, on hurle, on se soûle ». De plein air, le bal se transforme en une grande salle fermée. A l’extérieur se trouvent les jeux, les escarpolettes… Arthur Rimbaud écrit « La porte, peinte en rose et en vert cru, est surmontée dans un cercle de globes blancs de ces deux mots : Bal Debray. Un couloir qui monte et tout de suite la vaste salle lumineuse, avec un pourtour semé de tables et de bancs. L'espace où l'on danse est entouré d'une balustrade de bois rouge ; au bout sur une estrade, l'orchestre. Avant la danse c'est quatre sous par couple. La plupart du temps c'est la danseuse qui paie son cavalier ». De nouvelles danses apparaissent, maintenant il faut payer un orchestre qui doit remplacer les « estropiés » !

Le lapin Agile, le plus ancien cabaret de Montmartre, accueillait des comédiens, des poètes, des peintres, des chansonniers…. Toulouse-Lautrec, Aristide Bruant, Auguste Renoir et, bien sûr, d’autres artistes se retrouvaient au Lapin Agile…. « Elle avait sous sa toque de martre, sur la butte Montmartre, un p'tit air innocent. On l'appelait rose, elle était belle, a' sentait bon la fleur nouvelle, rue Saint-Vincent. Elle  avait pas connu son père, elle avait p'us d'mère, et depuis 1900, a' d'meurait chez sa vieille aïeule Où qu'a' s'élevait comme ça, toute seule, rue Saint-Vincent. A' travaillait déjà pour vivre et les soirs de givre, dans l'froid noir et glaçant, son p'tit fichu sur les épaules, a' rentrait par la rue des Saules, rue Saint-Vincent) Les roses blanches (Rue St Vincent)  Aristide Bruant.

Loin du monde corseté de leur respectable épouse, c’est là que les bourgeois viennent s’encanailler, oublier leur femme et goûter les plaisirs interdits.

Il y a une telle misère ouvrière que la butte Montmartre que la prostitution est endémique. Il y a un nombre incroyable d’ouvrières qui viennent y faire leur « cinquième quart ». La plupart des pauvres filles ne pouvaient pas nourrir leur famille et elles étaient obligées de se prostituer pour nourrir leur famille. Cette situation ne se trouve pas qu’à Montmartre, à Paris, dans toute la France et partout en Europe. Rappelez vous, c’est l’époque des « belles courtisanes » (La Belle Otéro, Liane Pougy, Emilienne d’Alençon…) illustrées par le roman d’Emile Zola « Nana »… (La Belle Otéro disait, la fortune vient en dormant… mais pas seule !).



[1] - s’enfuit

[2] - pleurer

[3] - Blanchisseuse

[4] - se prostituer

[5] - manger

[6] - « Cancan, espèce de danse ainsi nommée, soit parce que les exécutants imitaient la démarche et le cri de l'oie, soit par suite du bruit qu'ils faisaient ». Une autre version donne pour origine au cancan également appelé coincoin la danse pratiquée dans leurs fêtes par les blanchisseuses de Montmartre, introduite ensuite vers 1840 par Philippe Musard au bal de l'Opéra, célèbre bal du Carnaval de Paris.

[7] - À la place des montagnes russes du boulevard des Capucines, qui lui appartenaient,  il fait construire l'Olympia, inaugurée le 12 avril 1893 par La Goulue.

[8] - L'enceinte de Thiers est une enceinte créée entre 1841 et 1844 autour de Paris, à la suite d'une approbation de 1840 de l'homme politique Adolphe Thiers, alors président du conseil des ministres. Elle est détruite entre 1919 et 1929.

[9] - chapeau

[10] - Extrait de « La romance de la Goulue » d’Evane Hanska.