LEO LELEE : maître imagier de l’Arlésie |
LEO LELEE : maître imagier de l’Arlésie La Culturothèque – Conférence du 4 octobre 2016 RESUME Léo Lelée, qui a su mieux que quiconque capturer la beauté et la grâce des arlésiennes, n’était pas un provençal. En fait il est né en Mayenne le 13 décembre 1872, et a étudié d’abord au lycée de Laval où il est diplômé en lettres (latin, grec et français – des études classiques qui vont le servir par la suite à Arles). Il gagne un premier prix de dessin et reçoit une bourse pour continuer ses études à Paris aux Beaux-Arts, puis à l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs. En même temps il apprend la lithographie chez un créateur d’affiches. C’est grâce à cet apprentissage qu’il gagnera sa vie. Il accepte un premier poste comme directeur d’un cabinet de dessin dans une fabrique de rideaux, mais la vie d’usine ne lui convenait pas. Il tente ensuite de devenir professeur de dessin, mais, là encore, les contraintes de ce métier sont trop importantes pour lui. Il préfère passer son temps dans les ateliers de stylistes en vogue à l’époque. Et il rencontre du succès avec une première affiche créée pour les Folies Bergères. Il s’installe comme « imagier » et commence par créer des séries de cartes postales, très en vogue à l’époque, surtout pour les soldats partis à la guerre qui pouvaient ainsi envoyer un message court à leurs familles. Ces cartes reflètent l’art déco, nouveauté artistique de l’époque. Il fait des séries de cartes basées sur des thèmes : fleurs, belles femmes, les saisons, thèmes religieux, etc. Et l’exotisme mis à la mode par l’Exposition Universelle de Paris en 1900. Lelée fait la connaissance de Gaston de Luppé qui l’invite chez lui à Arles. Lelée n’en partira plus : il est tout de suite charmé par les paysages et les gens de Provence. Il épouse une belle arlésienne, Rosa Tourel, qui lui donnera deux filles, et s’installe Rond-Point des Arènes à Arles où il crée un atelier et une boutique. Il fait rapidement connaissance avec Frédéric Mistral, qui verra en lui un personnage crucial pour son mouvement du Félibrige et surtout quelqu’un qui peut l’aider à concrétiser son rêve d’un musée ethnographique. Lelée créera des affiches et des panneaux explicatifs, sur le costume d’arlésienne notamment, ceci dans le but de préserver les traditions provençales mises à mal par la Révolution Industrielle. Mais le travail qui fait vivre Lelée est surtout un travail d’illustration pour des livres et revues. Il reçoit des commandes d’éditeurs de livres de voyage de tous les pays d’Europe. Et dans la région il illustre des livres ayant un rapport avec la Provence et la Camargue, comme « Les Lettres de Mon Moulin » d’Alphonse Daudet. Il fut envoyé à Athènes par le journal « L’Illustration » pour illustrer les fêtes d’Athènes et de Delphes lors du centenaire de l’indépendance de la Grèce. Là il pouvait donner libre cours à son goût de l’Antique. Il excelle dans l’art de l’affiche, et notamment pour le compte du PLM, le chemin de fer de l’époque, mais également pour les Offices de Tourisme. Ses affiches illustrent toutes les fêtes populaires organisées dans la région. Il illustre le livre « Le Nouvè Gardian » par José d’Arbaud, en Provençal. Il fait 16 aquarelles pour ce petit livre de 48 pages, dont 500 exemplaires furent tirés. Il reste aujourd’hui un ouvrage de collection rarissime. Lelée illustre aussi certains livres de Mistral, « Mireille » et « Les Iles d’Or » notamment. Puis Mistral le sollicitera pour créer un diplôme qu’il voulait présenter lors d’une cérémonie qui prendra le nom de « Festo Vierginienco », les fêtes des vierges, où les jeunes filles de 15 ans porteraient pour la première fois le ruban d’Arlésienne. Il participe également à l’organisation de la première cérémonie. Avec cette cérémonie Mistral espérait redonner aux Arlésiennes la fierté de leur costume traditionnel, qui avait été perdu pendant la Première Guerre Mondiale. En 1908 Lelée prend l’initiative d’organiser une collecte de fonds pour mettre une statue de Frédéric Mistral, toujours vivant, sur la Place du Forum à Arles. La statue fut inaugurée en 1909 pour le cinquantenaire de « Mireille ». Lelée a aussi accepté de tenir la manade de son ami José d’Arbaud quand celui-ci devait s’absenter pour une longue période. Ainsi tout en continuant de travailler, il s’intègre parfaitement à la vie sociale arlésienne et camarguaise. Lelée sera mobilisé pendant la Première Guerre Mondiale en 1915. Blessé et gazé, il consacre son temps de repos à la création de nouvelles cartes postales qu’il vend au profit de la Croix Rouge. Après la Guerre il s’installe avec sa famille à Fontvieille où il restera 20 ans. Sa famille s’agrandit avec le mariage de ses filles et l’arrivée de petits-enfants, et Il participe à toutes les fêtes de village. Il sera un des membres fondateurs de « La Société des Amis des Moulins », qui, en 1932 veut rendre hommage à Alphonse Daudet en réhabilitant l’ancien moulin Saint-Pierre qui deviendra le « Moulin Daudet ». Et il décore les intérieurs de la Mairie de Fontvieille, des hôtels d’Arles, de grands magasins à Avignon and même d’un paquebot. En 1930 il remporte la médaille d’or à l’Exposition des Illustrateurs et Décorateurs de Livres à Paris. Puis en 1937-8 il fait don d’environ 600 œuvres à deux musées qui lui tiennent à cœur : Le Muséon Arlaten à Arles et le Musée de la Perrine à Laval. Mais pendant la Deuxième Guerre Mondiale il perd sa femme Rosa, puis décide de s’installer à Arles de nouveau où il devient administrateur du Muséon Arlaten. Il meurt le 26 juin 1947 après avoir été mordu par un chien. L’œuvre de Lelée est immense. Avec une fausse simplicité, il représente toutes les scènes de la vie arlésienne et surtout l’Arlésienne, au travail ou en promenade sur le Boulevard des Lices. Avec son œil d’ « estranger » il a su capturer la beauté de sujets qui paraissaient banals pour les Provençaux eux-mêmes. Quelques exemples de ses sujets : - La farandole, dont il fait une harmonie parfois presqu’abstrait. La farandole représente une Provence idyllique et heureuse : c’est une « pub » pour ce pays riant et insouciant. - Le costume des arlésiennes dont il sera un ardent défenseur, au point d’offrir des conseils sur le choix des tissus et des coloris. Il créera même pour le Museon Arlaten cher à Frédéric Mistral des planches pour expliquer comment s’habiller. Ses dessins suivront l’évolution du costume, qui suit la mode de l’époque. Grâce à Lelée ce costume a été « codifié » et se porte encore aujourd’hui. - Les monuments d’Arles, qui pour certains sont en train d’être dégagés et qui créent un cadre pour les festivités arlésiennes, surtout le théâtre antique, mais aussi l’amphithéâtre et les Alyscamps. - La Camargue. N’oublions pas que Lelée a tenu la manade de José d’Arbaud et qu’il fréquentait les manadiers et les gardians et participait régulièrement à leurs activités. - Les Alpilles, à partir du moment où il s’installe à Fontvieille, où il trouve des paysages d’une beauté antique : la « Grèce en Provence ». Pour Lelée le cyprès est l’arbre emblématique des Alpilles et il en fait de nombreuses études. Lelée n’a jamais revendiqué le titre d’artiste. Il était un « imagier », un dessinateur ou illustrateur de ce qui se passait autour de lui, à une époque où les photos avaient souvent remplacé les traits de plume dans les journaux. Mais le trait de plume peut traduire un élan et une dynamique que la photo a du mal à capturer. Cette dynamique sera notamment à l’origine des bandes dessinées. C’est en se libérant des contraintes de l’art « scolaire » que Lelée a pu moderniser notre héritage classique. |