PALMYRE : DETRUIRE UNE RUINE
19.04.2016 - 4000 ans d'histoire !

PALMYRE : DETRUIRE UNE RUINE …

Janice LERT – 19 avril 2016

La ville antique de Palmyre se trouve dans l’actuelle Syrie, et a eu le triste privilège d’être rasé par l’Etat islamique Daech en août 2015,   A ce moment-là elle était déjà depuis très longtemps en ruines. C’est une ville qui était déjà antique à la période de l’antiquité greco-romaine ; elle a 4000 ans d’histoire.  4000 ans de civilisation, et 4000 ans de destructions…   Qu’est-ce que cette ville représentait pour les radicaux islamistes de Daech pour qu’ils s’acharnent à en détruire les ruines ?

Pour répondre à cette question il faut d’abord expliquer ce qu’était Palmyre pour les anciens.  Elle est située dans une oasis du désert de Syrie, à 210 km au nord-est de Damas. Son nom actuel en langue sémitique est « Tadmor » (« Cité des palmiers »), qui est un nom qu’on retrouve dans la Bible et également dans les archives de Mari datant du XVIIIe siècle avant Jésus-Christ.  On connaît peu de son origine : dans le deuxième livre des Chroniques (2 Chron 8 :4) de la Bible, sa construction est attribuée au roi Salomon.

L’ancienne ville de Palmyre était une ville araméenne, une ville qui faisait partie d’une grande civilisation aujourd’hui disparue. Et donc pas une ville arabe.  Les grecs l’ont appelé « Palmura ».  En fait, elle entre dans le monde romain à partir de 41 av. J-C lors d’une entreprise malheureuse par Marc Antoine qui voulait prendre cette ville et assurer ainsi du butin à ses soldats romains. La ville de l’époque avait une réputation d’être riche, et ceci à cause de sa position privilégiée sur la route des caravanes qui apportaient les trésors de l’Orient, à égale distance de la Méditerranée et du Golfe Persique.  C’était une ville de nomades, une ville commerçante, où la population avait ses propres dieux.  Parmi les temples élevés aux différents dieux, citons celui du dieu Bel, le père de tous les dieux, qu’on peut comparer à Zeus ou Jupiter, celui du dieu Baalshamin, le dieu du ciel, qui contrôlait le soleil et la pluie, celui de la déesse Al-lat, vierge et guerrière, qu’on peut comparer à Athéna, etc.

Cette ville n’avait pas l’habitude d’être « indépendante ».  Elle fut toujours contrôlée par un pouvoir supérieur – les perses, les grecs, puis les romains – sans que jamais les habitants adoptent pleinement les coutumes des différentes civilisations conquérantes.  Les araméens étaient un peuple fier qui s’est allié à d’autres, et notamment aux romains, comme d’égal à égal. La ville a connu son apogée à l’époque de l’empereur Hadrien, qui la renomme « Hadriana Palmyra » et lui donne le statut de colonie romaine en 129.  « Palmyra » est le nom qui restera dans le monde occidental, alors que la ville s’appelle toujours « Tadmor » sur les cartes syriennes.  Elle aura le monopole du commerce entre l’Inde et Damas et se développera au 3ème siècle avec la construction de temples, de bains et une grande colonnade dont les restes constituaient un des sites les plus visités du Moyen Orient.  Des légionnaires y seront installés.

Mais le 3ème siècle est aussi une période de difficulté pour l’Empire Romain, et Palmyre connaîtra la destruction après un épisode de guerre civile.  En effet, Rome compte sur un sénateur et consul romain, Odainath, originaire de Palmyre, pour mener la bataille contre les perses avec ses guerriers. Il est très efficace, mais jalousé, et finit par être assassiné. Sa veuve Zénobie, avec son fils Wahballat, continue la lutte, avec même l’intention de marcher sur Rome pour faire valoir ses droits. Elle sera renversée par l’Empereur Aurélien qui la fait prisonnière et saccage la ville en brûlant notamment les archives qui contenaient les contrats et actes de propriété des habitants, ce qui a eu pour effet de détruire la société palmyrénienne.

La ville ne retrouvera jamais sa splendeur mais continue néanmoins à exister jusqu’à l’arrivée des arabes qui la détruisent en 634.  Aujourd’hui le château arabe du XVIIe siècle domine les ruines de la ville antique.

Les ruines archéologiques de Palmyre comprennent notamment :

-          Les temples élevés aux différents dieux et notamment celui de Bel, chef d’œuvre de l’architecture classique adaptée au style perse ; également le temple de Baalshamin, le dieu du ciel. 

-          La colonnade qui traverse le site, qui n’était pas une voie de circulation mais plutôt un marché où les commerçants exposaient leurs marchandises.

-          Un petit théâtre romain pour environ 1000 à 2000 spectateurs (alors que celui d’Arles pouvait contenir 10.000 spectateurs).

-          Des monuments funéraires sous forme de tours à plusieurs étages ou de tombeaux.

-          D’autres monuments comme un agora, les thermes de Dioclétien, etc.

Il n’y avait pas d’amphithéâtre ni de cirque : les « jeux », dans le sens de compétitions sportives ou artistiques, ne faisaient pas partie de leur culture. 

Ces restes ont commencé à être fouillés par les français au début du XXe siècle, qui en out délogé les habitants qui vivaient depuis des siècles à côté de ces ruines.  Les restes ont  été classés au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1980.  Puis ils furent pris par les forces de l’Etat Islamique Daech aux soldats syriens qui devaient en assurer la protection le 21 mai 2015. 

Il faut un grand effort de l’imagination pour comprendre pourquoi un organisme comme Daech, l’Etat Islamique, aurait à cœur de détruire ce qui n’était que des ruines de toute façon.  Leur destructions ont été graduelles : le théâtre a été préservé pour servir de cadre d’une mise en scène macabre de l’exécution de 25 soldats syriens capturés.  On a commencé par saccager le musée, mais le directeur avait déjà mis en sûreté un grand nombre d’objets : les djihadistes ont souvent cassé des copies en plâtre…  Le lion d’Athéna, provenant du temple de la déesse Al-lat, a été détruit.  Puis les temples de Bel et de Baalshamin.  Ensuite quelques tours funéraires…

On a avancé plusieurs hypothèses pour expliquer cette violence gratuite contre ces objets d’art, objets qui sont un peu le symbole de la Syrie.  Peut-être que les islamistes pensent que les Occidentaux qui viennent visiter ce site de la Syrie ancienne, font preuve d’une idolâtrie manifeste : les occidentaux adorent ces ruines comme les païens adoraient leurs dieux.  Les ruines deviennent but de « pèlerinage »  pour un occident désacralisé.

Les islamistes veulent démontrer au monde que leur civilisation diffère de la civilisation occidentale, une civilisation qui, pour eux, a pratiquement conquis le monde ; de l’Europe cette civilisation a colonisé les Amériques puis l’Afrique. Actuellement le Japon et même le Chine communiste s’occidentalisent  Partout on aspire à la scolarisation des enfants, la libération des femmes, l’acquisition de biens matériels, les loisirs….  La « globalisation » est en fait une « occidentalisation », et l’islam est de plus en plus marginalisé.  Cette civilisation occidentale est véhiculée par l’UNESCO, les Nations Unies, et même les ONG qui jouent un grand rôle dans la propagation de nos valeurs à travers le monde.  Pour combattre la paix et l’amour, valeurs prisées par l’Occident, quoi de plus logique pour Daech que de se tourner vers la guerre et la haine ?   En détruisant cette ville de Palmyre, ville double, liaison entre l’orient et l’occident, Daech veut peut-être montrer qu’ils refusent la glorification de la culture à la place de la foi.