OSEZ LES RAYURES !
05.05.2015 - longtemps descriminatoire en Occident !

 


OSEZ LES RAYURES !

La Culturothèque – le 05  mai 2015


Nous choisissons, en général, soigneusement nos vêtements. On les choisit quand on les achète et quand on les met le matin.

Le vêtement nous protège du froid, c'est vrai mais... on peut considérer toutefois que dans nos régions on pourrait s'en passer quelques mois dans l'année.

C'est vrai que le vêtement protège surtout notre pudeur. Le premier vêtement était un cache-sexe. En effet la pudeur à enclin les hommes, et surtout les femmes, à cacher nos « organes de reproduction » pour ne pas exciter les convoitises ou... peut-être par honte. Mais peut-être que le vêtement... cache les parties honteuses de notre corps (car il y a des parties que l'on montre et d'autres qui ne se montrent pas) pour donner du prix en excitant le désir (strip-tease, mini-jupe, décolleté...).

Le vêtement nous met en valeur, il sert aussi de parure à notre corps. Le vêtement sert à magnifier le corps humain, peut-être aussi à intimider : on se grandit avec des talons ou des chapeaux, on élargit les épaules, on serre la taille pour séparer le corps noble (le haut) et le bas ignoble...

Mais le vêtement est surtout un langage. C'est vrai par exemple que le vêtement définit notre sexe, les costumes féminins et masculins sont partout différents, même si quelquefois cela se définit à un détail. Par exemple les Grecs et les Romains portaient, hommes et femmes des toges mais... le plissé était différend lorsqu'il s'agissait d'une femme ou d'un homme. C'est pareil pour les musulmans, hommes et femmes portent le même vêtement... nous portons, les femmes, des pantalons ou des jeans mais... les boutonnières se ferment à droite ou à gauche qu'il s'agit d'un jean pour homme ou pour femme.

Le vêtement nous donne l'âge de la personne qui le porte même... si certains adultes s'habillent comme des ados et si des jeunes mettent les « chemises de papa » ou les lunettes de « grand-mère » pour donner un style rétro.

Le vêtement détermine la classe sociale. C'est un peu moins le cas aujourd'hui mais auparavant un notable mettait un melon ou un gibus et un ouvrier la casquette...

Y'a-t-il quelque chose de personnel dans le vêtement ? Peut-être qu'à l'intérieur de soi on peut se sentir gai avec un vêtement, triste avec un autre ou aussi pudique ou... érotique (que l'on mette une robe longue ou une minijupe....) mais cela se voit-il de l'entourage ?

Pourtant le vêtement a un langage. Si le code des formes est complexe à décrire (la veste ou le blouson, le blouson étant plus court il est plus adapté à un travail manuel)... mais aussi plus exhibitionniste, le code des couleurs est beaucoup mieux connu. Par exemple le vert est mal vu en occident car c'est la couleur du diable alors qu'en Islam il est la couleur du prophète. Le noir connote le deuil, l'habillé, l'anarchisme, la soutane des prêtres ou les vêtements des portugaises ? Pourtant on l'aime bien sans admettre que la vie est trop courte pour s'habiller triste.

Vous voyez qu'on peut apprendre beaucoup avec un vêtement. On peut parler histoire, géographie, art, politique, langues, religions, littérature et même philosophie !

Aujourd'hui j'ai choisi de vous parler du vêtement rayé.

En effet, en Occident, pendant des siècles les vêtements rayés ont eu un caractère discriminatoire...

Michel Pastoureau dans son livre « L'étoffe du diable » nous dit qu'à la fin du moyen âge le « rayé était cause de désordre et de transgression ».

Comme Janice vous a parlé récemment des Croisades je vais vous raconter ce que nous dit Michel Pastoureau sur ce qui s'est passé lorsque Saint-Louis est rentré à Paris après sa croisade, en 1254. Il est rentré avec un certain nombre de religieux nouveaux venus en France, et parmi eux quelques frères de l'ordre de Notre-Dame-du-Mont-Carmel.

L'origine des frères des Carmes c'est qu'ils s'étaient installés près du Mont Carmel en Palestine et à partir de 1209 les pèlerins et les croisés viennent grossir les membres du monastère dont les règles sont fondées sur un ascétisme[1] extrême jusqu'à l'intervention du Pape Grégoire IX qui leur permet de s'installer en ville et de s'adonner à la prédication. Ils sont donc classés dans les ordres mendiants au même titre que les franciscains et les dominicains... mais ça vous devez le savoir avec les treize desserts de Provence ! Quelques frères avaient commencés à enseigner à l'université de Bologne, à Paris et puis on les retrouve à Cambridge, par exemple, en 1247. Mais ce qui nous intéresse c'est sur ce que nous pouvons trouver sur leur habillement à partir du moment où ils arrivent à Paris avec St Louis car toutes les archives ne précisent pas la couleur de leur manteau mais par contre elles s'accordent toutes sur le fait que les frères des Carmes portent un manteau rayé ! Soit blanc et brun, soit blanc et noir. Ce sont eux qui vont créer une polémique qui va durer plusieurs décennies.

Une légende disait que le prophète Elie, fondateur mythique du Carmel se serait élevé au ciel sur un char de feu et aurait jeté à son disciple Elisée son grand manteau blanc qui aurait gardé, sous forme de rayures brunes, les traces roussies de son passage au travers des flammes. Au moyen âge la couleur du manteau des moines est symbolique, là elle exprime le rite de passage d'un ancien état à un état nouveau. Par la suite on trouve la symbolique du manteau rayé de quatre bandes blanches séparées par trois bandes brunes. Les quatre premières symbolisent les quatre vertus cardinales : la force, la justice, la prudence, et la tempérance, les trois autres évoquent les trois vertus théologales : foi, espérance, charité même si en réalité aucune règle n'a codifié ni le nombre, ni la largeur, ni l'axe des rayures du manteau des carmélitains. Les images de toute façon montrent plusieurs types de rayures ce qui dans le fond n'a aucune importance. Ce qui compte c'est que le manteau soit rayé.

On se moque des Carmes lorsqu'ils arrivent à Paris, on les montre du doigt, on les interpelle... On les appelle « les frères barrés ». Cette appellation est injurieuse, les barres désignant en ancien français, les rayures mais aussi la marque de la différence, de la bâtardise.

Ce n'est pas qu'à Paris qu'on les injurie, en Angleterre, en Italie, en Provence, en Languedoc dans la vallée du Rhône et du Rhin où les carmes se sont installés et où ils sont victimes de la population. On les accuse de cupidité, d'hypocrisie, de félonie et on voit en eux des suppôts du Diable. Ce qu'on leur reproche, en plus d'être pauvres du fait que c'est un ordre mendiant dont n'ayant pas l'appui des nobles et des princes, c'est... de porter un manteau rayé ! (Même si on leur reproche à Paris d'être un peu trop près des béguines, leurs voisines immédiates sur la rive droite de la Seine).

On leur reproche ce manteau « barré », c'est à dire rayé tellement qu'au début des années 1260 le scandale atteint une telle ampleur que le Pape Alexandre IV leur demande d'abandonner leur manteau à rayures pour un manteau uni. Après un premier refus qui va engendrer des polémiques, en 1287 le chapitre général de Montpellier des frères carmélitains renonce à leur manteau rayé pour un manteau blanc. Certains carmes, isolés et éloignés continueront quand même à porter leur manteau rayé. Pourtant une bulle de 1287 interdit désormais à tous religieux de tous ordres de porter des habits rayés.

Pourquoi cette haine des moines Carmes, pourquoi cette interdiction ? Certains y voyaient peut-être dans le manteau du Carmel le manteau oriental des musulmans ? Des religieux qui portent un manteau semblable à celui des infidèles ? Frédéric II, n'avait-il pas, lui aussi choqué toute la chrétienté en vivant et s'habillant comme un « Sarrasin » ?

Depuis le XVIIIe siècle est retenue la théorie que les manteaux des moines du Carmel avaient été imposés en Syrie par les autorités musulmanes car l'Islam interdisait aux chrétiens le port d'habits blancs car ceux-ci sont signe de noblesse et de distinction.

Le cas des Carmes n'est pas isolé dans toute l'Europe on trouve, d'autres groupes d'individus qui souffrent de leurs habits rayés. En effet on retrouve de nombreux témoignages qui soulignent le caractère discriminatoire du vêtement rayé. On trouve des décrets qui défendent par exemple aux clercs de porter des vêtements rayés ou à damier. Le concile de Vienne rappelle avec insistance ces interdictions (on peut penser que ces décrets continuels prouvent que ce n'est pas respecté). A Rouen en 1310 un certain Colin d'Aurrichier, savetier et « que l'on disoit estre clerc » a été condamné à mort parce qu'il était marié et « qu'il avait été pris en habit rayé ».

L'église, dans tous les états, va partir en guerre contre les rayures, surtout celles qui font alterner les couleurs vives : le rouge, le vert ou le jaune, rien ne peut plus être déshonnête !

Il y a aussi des coutumes, des lois, des règlements qui dans la société laïque prescrivent le port du vêtement rayé à certaines catégories comme les bâtards, les serfs, les condamnés, mais aussi les prostituées, les jongleurs, les bouffons, les bourreaux aussi. On impose un signe visuel qui marque un écart afin que ceux qui exercent de tels métiers ne soient pas confondus avec les honnêtes citoyens. Dans les villes Allemandes, toujours au moyen âge, des prescriptions identiques concernent les lépreux, les infirmes, les « bohémiens » les hérétiques et aussi... les juifs et tous ceux qui ne sont pas chrétiens.

Par ces lois et aussi des coutumes on instaure une ségrégation par le vêtement : chacun doit porter avant tout celui de son sexe, de son état et de son rang et... dans le système discriminatoire c'est la rayure qui apparaît comme la marque d'excellence.

La rayure est « efficace », on la voit bien, elle est plus repérable que la couleur jaune, un bonnet pointu ou une rouelle.

Si on se réfère à l'imagerie moyenâgeuse on peut repérer facilement les personnages mauvais ou négatifs. Le chevalier félon, le sénéchal usurpateur, la femme adultère, le fils rebelle, le serviteur cupide, tous portent des rayures.

Bien sûr Caïn, Dalila, Saül, Salomé, Caïphe, Judas portent souvent des rayures ou... des cheveux roux ! La liste s'allonge dans la miniature profane : Ganelon dans la Chanson de Roland !

Dans les villes il est facile de trouver le faussaire, le faux monnayeur, le parjure, le criminel et aussi le lépreux, le « cagot », le simple d'esprit, le fou ou comme je l'ai déjà dit, ceux qui représentent une catégorie inférieure comme le valet ou la servante, ou infamante comme les jongleurs ou les prostituées, les bourreaux. On continue la liste avec les forgerons (considérés comme des sorciers), les bouchers (qui sont sanguinaires), les meuniers (qui stockent et affament). La rayure transgresse l'ordre chromatique vestimentaire comme tous ces individus transgressent l'ordre social.

L'iconographie médiévale représente avec des vêtements rayés aussi ceux qui transgressent l'ordre social, les gêneurs ou les personnes ambigües. C'est ainsi qu'on dévalorise les personnages, on les rend ainsi aussi ridicules, sots, maladroits, avares, ivrognes.

Dans le lot de ces personnages on y trouve également Joseph. Celui ci est bien sûr toujours en retrait par rapport à la Vierge et l'Enfant, il lui faudra attendre la Renaissance et même le XVIIIe siècle pour qu'il trouve sa place dans la sainte famille. N'est-il pas le gêneur ? Alors on l'affuble généralement de chausses rayées. Bien sûr les chausses sont plus discrètes que le vêtement et il aurait été dégradant de lui donner un manteau ou une tunique entièrement rayée. Mais les chausses, c'est plus discret... et puis il n'est pas Caïn ou Judas, il n'a rien d'un vaurien. Il est simplement le gêneur de la belle histoire.

Mais il faut savoir aussi que la culture médiévale attribue de mauvaises intentions aux animaux rayés ou tachetés (l'uni c'est l'ordre, tout ce qui n'est pas uni c'est le désordre). Alors ne peuvent être cruels que le tigre, la hyène, le léopard (qui est toujours représenté comme le mauvais lion)... mais aussi la truite, la pie, le serpent, la guêpe. Alors en Europe on ne voyait pas beaucoup de zèbres mais bien sûr ils le jugent fort mal (ils l’assimilent à un mauvais âne ou onagre) du fait qu'il est rayé et l'incluent dans le bestiaire de Satan. Dans les romans de chevalerie on trouvera toujours le héros sur le cheval blanc et... le traitre, le bâtard, l'étranger monté sur un cheval « de deus colours » : vairé, pommelé, tigré, bai, pie, rouan. Dans le Roman de Renard par exemple les animaux rayés (Grimbert le blaireau) ou tachetés (Tibert le chat) se retrouvent du côté des animaux à pelage roux (Renard le goupil et Rousseau l'Ecureuil). Ils sont menteurs, voleurs, lubriques ou cupides. Pour les animaux, qu'ils soient, roux, tacheté ou rayé c'est l'équivalent. D'ailleurs l'imaginaire a perduré au delà du moyen âge : n’a-t-on pas décrit la bête du Gévaudan comme un loup gigantesque ayant le dos zébré de larges rayures ?

Progressivement on va instaurer un nouvel ordre à la rayure. Il va y avoir les « bonnes » rayures de l'époque romantique qui annonce « l'aube des temps nouveaux ». On va voir apparaître la rayure aristocratique, la rayure paysanne, la rayure festive, ordinaire, exotique ou domestique.

Effectivement dans un premier temps de diabolique, la rayure va devenir domestique. Les valets de cuisine ou d'écurie, les serviteurs de bouche, les hommes d'armes et valets de chasse, piqueurs, sergents, prévôts puis viendront ce qui vivent des libertés seigneuriales : l'échanson, le chambrier, le louvetier, le fauconnier, l'héraut d'armes et toujours le bouffon et le musicien. Ici prends naissance « la livrée » et c'est du XVe à la fin du XVIe siècle que la rayure domestique atteint son apogée. Aussi bien chez les hommes que chez les femmes : blouses, robes ou tabliers rayés se retrouvent souvent chez les domestiques et les pages, valets et esclaves noirs.

Les esclaves noirs donnent une dimension exotique à la rayure et qui devient rapidement à la mode. Chaque palais, chaque cour veut « ses esclaves noirs » que l'on s'amuse à vêtir de rayures (la rayure exprime ici deux fonctions : l’orientalisme et condition servile). Encore une fois l'iconographie représente souvent Balthazar en habit à rayures (il n'avait pourtant rien d'un esclave ou qui socialement était dévalorisé, au contraire, c'est un roi).

Ce sont les Vénitiens qui ont lancé cette mode. Plus tard on a souvent, aussi représenté, les Indiens d'Amérique et les Aborigènes d'Océanie avec des vêtements rayés. Pour les Occidentaux, la rayure était devenue la marque des peuples jugés le plus éloigné de la « civilisation ».

Les rayures des livrées domestiques ont survécus assez longtemps, jusqu'au début de notre siècle par le gilet rayé du majordome, valet de chambre ou maître d'Hôtel. Je ne sais pas si c'est encore très courant dans les grandes maisons mais c'est ce que l'on voit très souvent au cinéma ou dans les bandes dessinées : c'est sûr que si nous voyons un homme en costume et un gilet rayé jaune et noir on l'identifie tout de suite à un majordome (Tintin).

En Angleterre les hommes qui portaient ces gilets étaient surnommés les « tigers », souvent c'était des africains. Si on ne les rencontre plus souvent dans les maisons Anglaises, eux aussi ont été longtemps dans l'imagerie, surtout dans les affiches publicitaires.

La rayure médiévale va se retrouver ensuite dans les uniformes. D'abord dans les uniformes civils : garde-chasses, officiers de ville, fonctionnaire, subalternes de toutes sortes. Puis chez les militaires. Les « Serviteurs du pays » au service des grandes puissances vont se distinguer dès le XVe siècle par un vêtement rayé qui disparaîtra avec l'uniforme... bien que les enseignes garderont la rayure.

Rayure « domestique », rayure de « diabolique » ou « dépréciative » va se transformer en une rayure « aristocratique » ou « mondaine », donc valorisante durant quelques temps. La mode va venir, encore une fois, d'Italie, et c'est au lendemain de la grande peste. La joie de vivre fait fureur après les dures épreuves et des jeunes riches et des nobles, excessifs dans leur comportement, veulent de la gaité. D'abord les rayures vont apparaître sur les manches, les chausses et, nouveauté, elles ne sont plus horizontales mais verticales... Cette inversion atténue un peu le côté « rayures des exclus, des réprouvés ». Là il s'agit d'une transgression de l'ordre social recherchée par ceux qui se montrent en habits rayés. Mais cette mode nouvelle ne va pas durer, il faudra encore attendre les années 1500 pour voir apparaître un nouvel essor de la rayure verticale. François 1er donne l'exemple, Henri VIII également. On se positionne vraiment à cette époque sur la rayure verticale qui est aristocratique et la rayure horizontale qui reste servile. Bien sûr l'austère Espagne ne porte pas de rayures. On n'en portera pas non plus dans les années qui suivent avec la naissance de la Réforme protestante, la Contre-réforme catholique va imposer des vêtements sombres et stricts pour lesquels il n'y a plus de place pour les fantaisies rayées.

On va attendre les années 1600 pour voir apparaître des rayures en Espagne... on en voit dans les peintures du Caravage... Ce sont plutôt des rayures qui font alterner l'ocre et le noir ou des bruns et noir. La encore, la mode ne concerne que l'aristocratie mais ne dure pas longtemps.

Pendant un siècle on ne verra presque pas de rayures... un peu sur les robes de la cour, discrètement, ou sur les accessoires.

Vers le milieu du XVIIIe siècle on aime se déguiser, ou se faire représenter en sultan ou sultane et bien souvent il suffit d'une touche de tissu rayé pour apporter une touche orientale au costume.

Tout change à partir des années 1775. En une dizaine d'années la rayure va se retrouver sur les vêtements... comme dans le décor, emblèmes.

On va voir, maintenant comment ce nouvel ordre de la rayure va faire presque disparaître le côté péjoratif qui était le sien depuis le Moyen-âge... Ce changement nous vient de l'Amérique : le drapeau aux treize rayures rouge et blanches des treize colonies d'Amérique qui se sont insurgés contre les anglais donne à la rayure une image de.... Liberté !

Cette nouvelle image est vite adoptée : s'habiller avec des vêtements rayés c'est afficher des idées de libertés. Même l'Angleterre pourtant visée dans un premier temps va subir un déferlement de rayures ! Et... la rayure paysanne et la rayure aristocratique vont se rencontrer pour la première fois.

La rayure va même s'étendre aux tissus d'intérieur et d'ameublement avec les tentures, courtines, tapisseries, meubles, draps.

Les rayures sont fines, verticales et de couleur plus vives et plus claires, on voit maintenant le vert-blanc, le rouge-blanc, le bleu-blanc, le vert-jaune.

En France, dans le domaine des arts décoratifs, les styles Louis XVI et Directoire en sont friands...

C'est l'emblème de la révolution qui est en marche ?

C'est vrai que dans notre tête, si l'on pense révolution on pense rayures ! Les images, le théâtre, les films, la télévision montre les révolutionnaires avec gilet ou pantalon rayé.

Pourtant, comme je vous l'ai dit, cette mode nous vient d'Amérique et ce phénomène dépasse largement celui de la France. Alors d'où vient cette idée spécifique de rayure pour la révolution ?

Tout d'abord de la cocarde et du drapeau tricolore. Ils sont tous les deux rayés, même si ils sont rayés différemment. En effet ils ont trois couleurs, mais à une seule séquence. Ce n'est pas à proprement parler de tissus rayé. La cocarde va se porter, on la voit de loin, elle va s'animer au mouvement, on va quelquefois répéter la séquence du bleu, blanc-rouge. Elle va devenir un insigne qui va être adoptée par les insurgés du 17 juillet 1789 mais aussi par... la garde nationale. La cocarde devient donc l'insigne de l'unité civique de la France. Au début de la Convention elle apparaît comme le symbole officiel, presque sacré, du nouveau régime. L'arracher ou la profaner entraîne des peines extrêmement sévères et vendre des cocardes autres que tricolore est puni de... mort.

Par contre le drapeau bleu-blanc-rouge ne sera officialisé que plus tard. Il est défini par un décret de la Convention montagnarde que le 15 février 1794 mais il faut attendre le Consulat pour qu’enfin nous ayons la forme définitive. En effet notre drapeau français a eu des rayures horizontales.

Les maires vont recevoir la fameuse écharpe tricolore dès le mois de mars 1790 et le bleu/blanc/rouge va devenir un instrument de propagande… et aussi car beaucoup de révolutionnaires veulent un statut égalitaire, le rayé paysan va devenir « l’uniforme » de la révolution. S’habiller de rayures c’est faire preuve de civisme mais l’homme de l’ancien régime porte  la redingote rayée (Robespierre)…

L’Europe suit le mouvement… de nombreux insignes ou drapeaux seront abandonnés pour adopter les rayures : c’est plus facile utiliser et à reproduire que les anciennes armoiries à motifs animaux ou végétaux !

Une nouvelle connotation exotique va confirmer la mode aux rayures. En 1799/1800 c’est la mode Egyptienne qui donne aux rayures le décor oriental suite au « retour d’Egypte ».

Mais dans cette mode, on  va délaisser les tissus des vêtements mais  la rayure va s’exprimer pleinement sur les murs et sur tous les tissus d’ameublement et sera même du meilleur goût de la « bonne société » : c’est à la mode de dresser des tentes rayées à l’Egyptienne dans sa maison.

De plus la rayure devient plus facile à fabriquer. Elle est bien sûr liée à l’histoire des techniques. C’est en 1770 que la machine à filer de James Hergreaves est inventée, puis la « mule-jenny »  par Samuel Crompton  (que nous avons vu fonctionner à Langogne) et bien sûr le métier à tisser de Joseph-Marie Jacquard).

On ne sait pas quand est apparu chez les marins le vêtement rayé. Et pourquoi ? Certains avancent que le vêtement rayé se voit plus facilement si un homme tombe à la mer ! Ce serait à partir du milieu du XVIIe siècle que les tableaux représentent des batailles navales avec des marins qui portent des tuniques rayées (soit horizontales, soit verticales) rouges et blanches ou bleus et blanches … Mais c’est à la fin du XVIIIe siècle que la plupart des marins codifient  le matelot et la rayure, car en effet, il n’y a que les matelots qui portent la rayure. Ce sont les hommes qui participent aux manœuvres… Il s’agit là d’un signe vestimentaire de celui qui est au bas de la hiérarchie. Aujourd’hui dans la marine, on qualifie de « zèbre » l’officier qui n’est pas sorti d’une école navale. Celui-ci est sorti du rang… de ceux qui portaient le tricot rayé.  C’est de la marinière du marin que la rayure c’est déplacée vers les rivages et aussi les premiers maillots de bains. Au bord de la mer on se libère de certaines contraintes, on ose ce qu’on oserait pas en ville, on aime « s’encanailler » même si on y vient aussi pour respirer le bon air, faire des exercices, fortifier sa santé… et puis tout ce qui doit toucher le corps doit être blanc, pastel ou… rayé. En effet pendant très longtemps tout ce qui touchait le corps ne pouvait être que blanc, toute autre couleur était considérée comme malsain. La pureté corporelle va évoluer par adopter les couleurs pastel puis les rayures. On peut parler également des vêtements de nuits… Comme les sous-vêtements ils touchent le corps. Pourquoi sont-ils souvent ornés de raies ou de bandes de couleurs différentes ?   Nos serviettes sont souvent rayées, nous nous couchons dans des draps rayés ? Ces rayures sont-elles là pour nous « souiller » ou nous protéger ?  Rayures barrières, filtres contre toutes impuretés ?

Petit à petit,  la mode des rayures verticales va se prolonger… elle va se vider de toute idéologie et de toute connotation orientale. La rayure est utilisée pour « agrandir les volumes »  même s’il s’agit d’un simple phénomène culturel et on pas optique ou physiologique.

Maintenant la rayure semble être adoptée, elle peut être verticale ou horizontale et celui qui en porte n’est pas nécessairement un exclu, un réprouvé de la société et cette qualité va continuer… même perdurer jusqu’à nos jours.

Pourtant… la mauvaise rayure ne disparaît pas pour autant.

On peut voir que la rayure n’est pas neutre, elle peut être valorisante ou dévalorisante comme on l’a vu mais elle n’est toujours pas neutre. En effet, un habit rayé, même dans notre vision moderne peut renvoyer à différents métiers ou statuts sociaux. Le prisonnier par exemple. Si on lit Lucky Luke par exemple on reconnaît d’un coup d’œil les Daltons à leurs habits rayés. L’habit rayé pour les prisonniers anglais, allemands, en Australie, Sibérie et j’en passe avaient des vêtements rayés. La France n’en a pas fait usage, elle préférait vêtir les forçats d’une casaque rouge mais… dans tous les  cas le but est le même : il s’agit de faire un écart avec les exclus de l’ordre social.

Laissons là ces rayures et intéressons nous au vêtement d’aujourd’hui. Rayures étroites, rayures larges, associant des couleurs vives, des couleurs pastel, rayures horizontales, verticales ? Certaines jugées de bon goût, d’autres de mauvais goût ? Certaines amincissent la silhouette, d’autres la rajeunissent ou la vieillissent mais ceci est en fait l’histoire de la mode… qui change, qui s’inverse et pourtant qui nous « conditionne ». Si vous voyez un homme habillé d’un costume classique avec une chemise rayée, à fines rayures, de couleur pastel de préférence. Vous penserez tout de suite : c’est un banquier ? Vous voyez le même costume sur un autre homme mais avec une chemise rayée de couleurs criardes… vous penserez c’est un malfrat ! Mais là encore la mode nous conditionne… on change.

La rayure a eue des significations multiples, la liberté comme on l’a vu,  la différence, elle peut aussi entretenir l’ambiguïté, la confusion, l’encanaillement,  mais aussi la protestation… le déguisement et aussi l’audace. Par exemple Picasso qui proclamait que pour faire de la bonne peinture il fallait « se zébrer le cul » et qui ne manquait pas une occasion de porter des habits rayés. 

On a vu aussi comment Daniel Buren fait scandale, artiste dont toute création depuis plus de trente ans s’articule autour de la rayure ! 

En Europe on voit de nombreux dessinateurs faire des caricatures ou des dessins journalistiques avec des rayures pour souligner le caractère véreux de tel  ou tel homme politique.

Si aujourd’hui la signification de la rayure ne désigne plus le Diable, elle est encore très actuelle dans notre société même si elle est plus discrète pour codifier le côté positif ou négatif. On voit par exemple dans le code de la route, elle fonctionne comme un signal de danger  ou de protection : passages protégés pour traverser mais aussi bandes blanches et rouges pour les travaux.

Alfred Hitchcock a fait un film, la maison du Dr Edwards, construit sur un mouvement obsessionnel des formes et des figures rayées… c’est un univers inquiétant, assourdissant, aliénant, simplement donné par la répétition des séquences rayées.

La rayure aujourd’hui a encore et toujours un rôle de classification sociale. Rayer c’est mettre en rang, inscrire, orienter, marquer, organiser, classer mais c’est avant tout une question de culture !

Un Africain vous dira qu’un zèbre c’est un animal noir à rayures blanches et vous qu’en dites vous ?



[1] - Vie rude et austère, où l'on se prive des plaisirs matériels