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MARIE MAURON Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
07.01.10 -  L'art de faire éditer des contes provençaux à Cambridge puis à Paris par l'Universtié d'Oxford !

VOIR ICI LES PHOTOS DE LA CONFERENCE DE REMI VENTURE.

 

C'est un bien bel après midi que nous a offert Rémi Venture pour sa conférence sur Marie Mauron. La personnalité de cette conteuse-écrivain ne manquait sûrement pas de piquant, mais Rémi nous l'a conté à sa façon : avec passion et beaucoup d'humour. Ayant lui-même rencontré Marie Mauron il pouvait sans problème nous en dresser son portrait. La discussion a été animée et nous avons appris aussi que Nancy a été l'élève de Marie Mauron lorsqu'elle était petite. Alison a été interpelée par son amitié aver Roger Fry et est bien décidée à trouver le portrait de Charles Mauron dans une des Universités de Cambridge.

Rémi a réalisé à notre attention un petit repère biographique que je vous donne ci-dessous. Il est d'autant plus intéressant que l'on ne trouve pas beaucoup de renseignements sur Marie Mauron.

Un texte recopié sur le livre "PROVENCE BUISIONNIERE" de Gabriel Domenech édité chez Albin Michel suit cette biographie.

MARIE MAURON Par Rémi Venture. De la Bibliothèque de Saint-Rémy-en-Provence.

Les Jeudis de La Culturothèque du 7 janvier 2010

Notice biographique réalisée par Remi VENTURE, avec les conseils de Marcel Bonnet.

Repères Biographiques

- 5 avril 1896. Naissance à Saint-Rémy-de Provence de Marie-Antoinette Roumanille. Elle est issue d’une famille de paysans républicains appartenant à la vieille lignée saint-rémoise des Roumanille –branche des Beausoleil-, qui est relativement proche parente de celle du poète provençal Joseph-Roumanille (1818-1891).

- 1913-1916. Etudes à l’Ecole Normale d’Institutrice à Aix en Provence.

- 1916-1917. Premier poste d’institutrice à Raphèle-lès-Arles.

- 1917. Après un passage à Rognonas où elle subit l’opposition des « Blancs » de ce village de la Vendée provençale, opposés à l’école laïque (mai-novembre), Marie Roumanille est nommée aux Baux-de-Provence. Elle s’y lie avec le typographie et graveur Louis Jou (1896-1968), ainsi qu’avec le peintre et critique d’art anglais Roger Fry (1866-1934), qui l’introduira, ainsi que son mari, dans les milieux littéraires anglais. Son séjour aux Baux lui inspirera plus tard son roman Le Sel des Pierre.

- 1919. Mariage avec son ami d’enfance Charles Mauron - (1899-1966), fils d’instituteurs saint-rémois, dont le père, Joseph Mauron, sera Maire de Saint-Rémy de 1935 à 1940.

- 1920-1924. Marie Mauron institutrice à Gignac, puis à Marseille.

- 1923-1924. Alors qu’il était assistant du Doyen de la faculté des Sciences de Marseille et travaillait sur les cristaux liquides du savon, Charles MAURON, victime d’une maladie héréditaire des yeux, voit son état empirer. Il deviendra peu à peu aveugle et ne peut plus travailler. Le coupe part s’installer près de sa famille, dans la région de Saint-Rémy.

- 1924. Mutation à Mas-Blanc-Les-Alpilles, suivie par diverses autres affectations : Raphèle (1927-1933), Saint Rémy (à partir de 1933).

Installation définitive à Saint-Rémy, où le couple achète le Mas d’Angirany, près des Antiques. Charles Mauron se consacre à des traductions françaises d’auteurs anglo-saxons (Sterne, T.-E. Lawrence, D.H. Lawrence, Virginia Woolf, Katherine Masfield…), et à la mise au point de sa méthode sur la psychocritique littéraire.

Le couple fréquente des écriains et artistes tels que René Seyssaud, Auguste Chabaud, Jean Baltus, Louis Jou, Roger Fry, la famille Woolf, Edward Morgan Foster, dont Charles Mauron deviendra le traducteur.

En relation épistolaire avec Roger Fry et lui décrivant ses activités à Mas-Blanc, ce dernier donne à Marie Mauron l’idée d’écrire un livre à ce sujet. Ce sera Mont-Paon, ou « Messieurs et chers administrés »…

- 1934. Refusé en France, cet ouvrage est publié dans une traduction anglaise de Peter Lucas sous le titre de Mont-Peacock, or the Progress un Provènço, aux Presses Universitaires de Cambridge.

- 1937. Devant le succès rencontré par cette parution, publication du texte français en coédition par Denoël (Paris) et the Oxford University Press (Londres).

- 1941. Publication chez Denoël du deuxième ouvrage de Marie Mauron, Quartier Mortisson, description romancé de son quartier d’enfance. Ce livre rate d’une voix le Prix Fémina.

- 1942. Les Editions Denoël collaborent avec l’occupant, Marie Mauron change d’éditeur. Elle publie désormais chez le jeune Robert Laffont, installé à Marseille. Parution du roman Le Sel des Pierre. Marie Mauron quitte l’enseignement (retraite anticipée) pour se consacrer à la littérature.

- 1943. Publication de Le Soir finira bien par tomber.

- 1945. Lisa de Roquemale.

Après avoir milité dans la résistance, Charles Mauron devient Maire de Saint-Rémy et Conseiller Général des Bouches-du-Rhône.

- 1946. Création par Charles Mauron et son ami instituteur Camille Dourguin de l’association pédagogique Lou Prouvençau à l’Escolo.

- 1949. Parution de Charloun Riéu dou Paradou (Bruxelles, ed. du Balancier), biographie romancée du poète populaire des Alpilles Charles rieu (1846-1924).

Divorce d’avec Charles Mauron qui se remarie.

- 1950. Prix Mistral pour son livre Charloun.

- 1951. Fréquentation des écrivains et artistes provençaux au sein du G.E.P. (Groupamen d’Estùdi Prouvençau).

De cette date à sa mort, publication de nombreux autres ouvrages chez plusieurs éditeurs.

- 1952. Prix Olivier de Serres.

- 1955. Chevalier de la Légion d’Honneur. Marie Mauron était par ailleurs Chevalier des Palmes Académiques et Officier des Arts et Lettres.

- 1969. Majoral du Félibrige.

- 1971. Grand Prix Littéraire de Provence.

- 1986. 90ème anniversaire de Marie Mauron à Saint Rémy, en présence de Gaston Defferre et d’Edmonde Charles Roux.

- 31 octobre 1986. Décès de maire Mauron à Saint Rémy, où elle repose.

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MARIE MAURON.

Extrait de « Provence Buissonnière » de Gabriel  Domenech édité chez Albin Michel.

Où l’on apprend la manière de ne jamais payer le loyer, la façon de gagner un procès quand on a tort, le moyen de vendre une récolte sans semer, et l’art de faire éditer des contes provençaux à paris grâce à la rivalité entre Oxford et Cambridge.

 

« Etonnante Marie Mauron, si pleinement en harmonie avec le site dans lequel elle vit, parce qu’elle est originaire, et que tous les siens en sont originaires, depuis des siècles des siècles…

Elle m’attendait sur la terrasse de son mas, à Saint-Rémy, et, dès ma descente en voiture, ses deux chiens, Lugano et Patalu, m’ont pris en charge, huissiers stylés pour me conduire jusqu’à elle. On pourrait croire qu’ils sont là pour me garder ! Mais ils ont tellement l’habitude de voir venir des amis qu’ils font des fêtes à tous les visiteurs ! La vérité, c’est qu’un chien est toujours à l’image de son maître. Ce ne sont pas les chiens qui rédigent les pancartes « Chien méchant ». S’ils pouvaient parler, les pauvres, ils protesteraient sûrement contre l’hypocrisie de leurs propriétaires, méchants eux-mêmes, ou, plus souvent encore, menteurs. Au mas d’Angirany, il n’y a pas de pancarte. Et les chiens sont si heureux de vous voir arriver que l’accueil de la maîtresse de maison ne fait aucun doute : vous êtes le bienvenu.

Marie Mauron m’a tout de suite mis à l’aise. Du moment que j’aime la Provence, sa demeure est la mienne. Une seule inquiétude : que peut-elle faire pour me faire plaisir ?

Ah, madame ! C’est bien difficile à dire… Car je n’ai en réalité, rien à vous demander. Sinon le privilège de bavarder quelques heures avec vous… De tout et de rien. Avouez que c’est une fichue entrée en matière, surtout en arrivant chez une dame qui a sans doute bien autre chose à faire que de perdre son temps avec le premier venu.

Mais Marie Mauron appartient à cette race sage, forgée sous le soleil et l’azur, dans l’odeur du thym et du romarin, à l’ombre des Alpilles qui ont vu toutes les civilisations se faire et se défaire depuis que la mer a découvert la terre.

Une race pour laquelle rien de ce qui est contact humain ne saurait jamais être considéré comme du temps perdu.

Et tandis que là-bas, à quelques kilomètres au nord et au sud, le monde continue sa course folle vers on ne sait trop quel paradis artificiel, à moins que ce ne soit tout simplement à sa perte, nous nous sommes enfermés dans son île de rêve, et elle a parlé.

Elle a parlé, et je me suis presque contenté de l’écouter….

Car cette femme est une merveilleuse conteuse d’histoires vraies.

Je le savais déjà, pour  l’avoir entendue à la radio ou à la télévision. Seulement le cadre, alors, n’y était pas. Il y manquait les oliviers, les herbes sauvages, le genêt, la marguerite et le coquelicot, les murs de pierre chaude, les grandes jarres fleuries, la sangria dans les verres, la lumière de Van Gogh, la poussière de soleil, le fantastique bourdonnement du silence, les chiens allongés à nos pieds, le cheminement d’un perce-oreille sur la table… et les fantômes des bâtisseurs de Glanum.

Tandis qu’aujourd’hui, j’avais tout cela autour de moi.

« - Savez vous que je suis née Roumanille, ce qui est probablement le plus vieux nom de Saint-Rémy ? Si vous allez consulter les listes électorales, vous en trouverez une flopée… Rien qu’à  l’école communale, de mon temps, nous étions au moins dix filles Roumanille. Dont plusieurs s’appelaient Marie, comme moi. Alors pour nous distinguer les uns des autres, on nous donnait des sobriquets. Il y avait des Roumanille Catcha, des Roumanille Muoù, des Roumanille Pregno… La famille de Joseph Roumanille, le poète, c’était les Piho. Je n’ai jamais su ce que cela voulait dire. Certainement un mot qui s’est déformé à l’usage. Nous, nous étions les Roumanille Beausoleil. Je ne sais pas pourquoi. Et je suis la dernière… Le plus curieux, c’est que tous ces Roumanille, à l’origine, n’étaient pas parents. Quand ils le sont devenus, c’est par la suite, en se mariant les uns avec les autres. Au début, en effet, il y avait ici un seigneur de Romanin, qui vivait sur le plateau où est installé, maintenant, le centre de vol à voile. Et ce seigneur n’était pas très riche, vous vous en doutez ! Alors, quand il lui a fallu équiper son armée pour partir à la guerre, il n’a trouvé qu’un moyen pour se faire un peu d’argent : c’était de vendre leur liberté à ses serfs, et un bout de terre à chacun… Pensez qu’ils se sont « esquiché » le tempérament, tous ces braves gens, pour s’offrir ce luxe. Du coup, ils ont été nombreux à devenir propriétaires d’un lopin, et comme le coin s’appelait Romanii, ils se sont appelés, Pierre, Jacques ou Paul de Romanii… ce qui est devenu avec notre accent Roumanille ! Et si nous sommes encore aussi nombreux dans le pays, c’est que les premiers Roumanille ont tant peiné, souffert et transpiré pour gagner leur terre, que toute leur descendance en est restée marquée… La preuve, c’est qu’ils ne se sont pratiquement jamais exilés. Il y en a bien un, une fois, qui est parti s’installer à Châteaurenard. Mais il n’a pas tardé à revenir : « De Ségur, disait-il, Castèù-Renard est un beù païs ! Mai que voulés, est trop lun ! (C’est vrai, Châteaurenard est un beau pays, que voulez-vous, c’est trop loin). A dix kilomètres de St Rémy environ ».

Elle sourit en le précisant, et pourtant, elle se souvient qu’elle-même…

«-  Notre caractère casanier était d’ailleurs tel qu’on se moquait de nous en bien des endroits. Par exemple, quand j’étais à l’école normale d’Aix en Provence, à je ne sais plus quelle occasion, une fois, je me suis démenée comme un beau diable pour glorifier la grève de l’internationale socialiste. Déjà la contestation. Et j’entends la directrice énoncer sur un ton narquois, au lieu de me « coller » : -« Voici Mlle Roumanille qui prêche l’anarchie et la suppression des frontières, elle qui n’est jamais sortie de l’arrondissement d’Arles ». Je devins rouge comme une pivoine, puis, comme si il y avait de quoi s’en vanter : « Même pas ! Dis-je.  Je ne suis jamais sortie du canton de Saint-Rémy, Madame ! » et, le pire c’est que c’était rigoureusement vrai ».

Elle s’excuse de me raconter des choses qu’elle craint de me voir trouver stupides. Peut-être l’histoire de Saint-Rémy m’intéresse-t-elle davantage que ses souvenirs de jeune fille ignorante.

Mais je m’empresse de la détromper. L’histoire de Saint-Rémy, les guides touristiques en sont remplis. Tandis que son histoire à elle…

« - Oui, reprend-elle, les Roumanille étaient travailleurs et casaniers. Pourtant, si du côté de mon père j’avais une tendance acharnée au travail, sérieuse, et solidement attachée au sol natal, c’est surtout le côté de ma mère qui m’enchante… Ceux là étaient extraordinaires, et mon regret est de ne pas avoir pu les connaître tous depuis toujours. Ils s’appelaient Deville, et ils étaient carriers. Vous savez que les carrières, dans la région des Baux, étaient exploitées depuis les Romains et que cette exploitation a duré jusqu’à la guerre de 1914. Mon grand-père et mes grands-oncles, don, allaient tous les jours travailler à hui kilomètres d’ici, en passant par le col de Sarragan. Et parce qu’ils ne cessaient d’en parler comme d’un exploit, Sarragan était devenu leur Sobriquet. Ce qu’ils oubliaient de dire, cependant, c’est que, chaque matin en montant à la carrière, ils posaient des pièges, et qu’ils rechargeaient leurs prises le soir au retour… faisant ensuite loter le gibier dans les cafés du village. Mais… leur vraie raison de vivre, c’était de raconter des histoires ! ils étaient six ou sept, dans la famille, et on les invitait aux baptêmes, aux noces, aux fêtes, pour distraire les invités. Depuis quand cela durait-il, je l’ignore, et c’est à travers mon seul grand-père que je les imagine tous, car toute ma jeunesse s’est passée  à entendre parler d’eux… Et comme ils présentaient toujours leurs contes comme des faits authentiques leur étant arrivés, je n’étais pas loin de les considérer comme des sortes de demi-dieux… Jusqu’au jour où je suis allée à l’école supérieure. Alors en lisant les récits tirés de l’Iliade, de Rabelais ou du Roman de Renart, j’ai retrouvé la source de la plupart des histoires de mon grand-père ! Bien sûr ce n’était pas tout à fait la même chose. Elles étaient adaptées, enjolivées, provençialisées.  Mais l’origine ne faisait aucun doute. Je suppose qu’il y a bien longtemps, un membre de la famille avait dû apprendre à lire, peut-être chez le curé, et qu’il avait acheté, par la suite, un de ces petits livres que les colporteurs vendaient dans les campagnes, autrefois, pour un sou ou deux. Et puis, il avait raconté les exploits d’Ulysse et de Panurge comme des exploits personnels ou accomplis par des gens connus de lui seul… et la famille, de génération en génération,  enrichissait le répertoire ».

C’est tout ce qu’elle pouvait enrichir, la famille maternelle de Marie Mauron.

Parce que le travail de carrier était pénible et rapportait peu.

Si peu que pour joindre les deux bouts, et vivre heureux malgré tout, il fallait se débrouiller.

« - Dans ce mas, par exemple, on ne payait pas le loyer. Le propriétaire avait beau venir relancer mon grand-père, rien à faire ! Sans doute considérait-il que le paiement d’un loyer était un mauvais principe ! « Voyons, lui disait le propriétaire, qui était un brave homme, tu vends mes olives pour faire de l’huile, tu vends mes amandes pour faire du nougat, tu vends le miel de mes ruches… Et à moi, tu ne donnes jamais rien. Tu trouves ça normal ? ». Et mon grand-père buté, de répondre : « Normal ? Pardi que c’est normal… puisque moi je suis pauvre, et que vous, vous êtes riches ! ». Tant et si bien que le propriétaire finit par se décider à le poursuivre. Le jour du procès, pourtant avant de partir pour le tribunal, il tenta une dernière démarche « Alors, Sarragan ! Toujours pas décidé à payer ? ». Mon grand-père haussa les épaules : « Comment voulez-vous que je fasse ? Si j’avais quatre sous devant moi, je me serais plutôt payé un pantalon pour venir me défendre devant le juge, allez ! Que je n’ose même pas me présenter, gros malheureux que je suis ! ». Il faut vous dire que c’était aussi un merveilleux comédien. Le propriétaire mordit à l’hameçon : « Ce n’est que ça ? Dit-il, il sera pas dit que je n’aurais rien fait pour t’aider. Je vais t’en prêter un, moi, de pantalon. Et tu vas venir avec moi au tribunal ! ». Aussitôt dit que fait, naturellement. Et une fois devant le juge, voici que le propriétaire se met à raconter ses malheurs : « il a mes olives, mes amandes, mon miel ! Il vend tout. Et il ne veut même pas me payer mon loyer… » Alors mon grand-père de s’écrier : « Si vous l’écoutez, monsieur le Juge, il est même capable de dire que le pantalon que je porte est à lui   ! ». Pensez que le propriétaire bondit : « Pardi qu’il est à moi. Je te l’ai prêté pour venir ici. » Et mon grand-père d’éclater de rire : « Qu’est-ce-que je vous disais, monsieur le Juge ? ». C’est ainsi qu’il fut relaxé de toutes poursuites.  Et c’est pour cela que mon mas s’appelle le mas d’Angirany. On se demande parfois d’où vient le nom. C’est facile ! C’est le nom de ce pauvre homme de propriétaire. Quand j’ai acheté, mon père ne comprenait pas que je baptise l’endroit de cette façon. On lui devait pourtant bien cet hommage posthume, à M. Angirany, après toutes les misères que mon grand-père maternel lui avait faites de son vivant ! ».

« - La cheminée est dallée d’une lourde et large pierre, souvenir du café Moscou –devenu la Banque Chaix » où le grand-père Deville-Sarragan a tant raconté d’histoire. Un jour qu’il traversait le village avec la bêche sur l’épaule et un sac de haricots sous le bras, quelques notables réunis devant le café l’appellent et l’invitent à s’asseoir avec eux. « Hé là, fait-il, c’est que j’ai mes haricots à semer, brave gens ! – Bah disent les autres, si ta récolte est bonne, combien penses-tu en tirer de tes haricots ? » Il réfléchit un moment, puis : « Ma foi ! Dans les trois cents francs… »

Les notables se consultent du regard : « Bon ! Voilà tes trois cents francs. Et maintenant raconte-nous des histoires ! » Mon grand-père ne se le fait pas dire deux fois, et ne manque pas non plus de réclamer à boire chaque fois qu’il se sent la bouche sèche, c’est-à-dire souvent… C’est ce jour-là paraît-il même, qu’on l’a retrouvé assis au bord du trottoir, répondant à ceux qui lui demandaient ce qu’il faisait : « tout tourne, les amis ! J’attends la maison. Elle finira bien par passer… ». En tout cas, en rentrant, il jeta le sac de haricots sur la table, et dit à ma grand-mère : « Té, fait la soupe avec… » Mais elle, aussitôt : « comment, la soupe ? » C’est pour semer, non ? Alors va les semer, sinon qu’est-ce qu’on mangera l’année prochaine ? ». Il refusa énergiquement : « Rien à faire ! Du moment qu’on m’a payé la récolte, j’ai pas le droit ! Grommelait-il. Je  suis un honnête homme moi ! ».

Il aurait fallu tout un livre pour rapporter ce que Marie Mauron m’a confié durant les trop courtes heures passées en sa compagnie. Seulement des livres, elle en écrit elle-même, et il est difficile, dès lors, d’en savoir davantage. Je lui ai pourtant demandé comment elle s’était mise à écrire.

«  - Déjà lorsque j’étais toute gamine. Je me souviens parfaitement de mes trois ans. Je me racontais des histoires qui duraient, qui duraient… Et je me les racontais en provençal, naturellement, puisque c’était la seule langue qu’on parlait. Plus tard, à l’école, j’ai d’ailleurs été punie pour cela. Mais j’ai tenu bon, et j’ai gardé ma langue… Pour écrire, malheureusement, c’était plus difficile. D’abord parce que je n’avais pas appris. Ensuite parce que les livres en provençal, presque personne ne les comprend. Alors ma foi, je garde mes histoires pour moi ! Je suis donc devenue institutrice, je me suis  mariée, et je vivais comme tout le monde jusqu’au jour où mon mari, Charles Mauron, est devenu aveugle. Il  nous a fallu quitter Marseille où il enseignait, et nous avons voulu revenir à Saint-Rémy. Comme il n’y avait pas de poste d’institutrice vacant, on m’a nommée à Mas-Blanc, petit village de 120 habitants situé à 6 km d’ici. Et comme l’institutrice était, traditionnellement, secrétaire de marie, je suis devenue secrétaire de mairie… C’est ainsi que j’ai connu les plus belles histoires vraies de ce pays. « Oh ! Il n’y avait pas grand-chose à faire, bien sûr ! Mais on voyait défiler tout le monde, avec les mille et un côtés amusants ou émouvants de la vie d’un petit village… L’enregistrement d’une naissance, par exemple ! Le père ne venait pas le jour même, il s’en fallait. « Bon ! Disais-je quand il s’amenait enfin, quel jour est-il né votre garçon ? – Attendez ! Il est né… il est né. Je crois bien que c’était lundi… ou peut-être mardi ! C’est facile, c’est le jour où j’avais l’eau… Ce doit être mardi ! Et non intervenait le maire, Mardi, c’était moi qui avais l’eau. Ca pouvait pas être toi. – Ah faisait le père, déçu, alors c’était pas mardi ! ».

Finalement on se mettait d’accord pour dire que le gosse était né le lendemain du jour où le voisin avait arrosé son pré. Et tout à l’avenant !

« - Ces histoire, je les racontais à Charles, pour le distraire. Et quand ses amis anglais venaient chez nous, ils s’en délectaient. Tellement qu’ils  n’oubliaient jamais, dans leurs lettres, de me demander des nouvelles de « mes villageois », comme ils les appelaient. Cette correspondance a duré quatre ans, c’est-à-dire tout le temps que je suis resté au Mas Blanc. Puis un jour ils m’ont dit : « Avec toutes tes lettres, pourquoi  ne ferais-tu pas un livre ? Ce serait amusant ». L’idée m’a paru bonne. J’ai donc réuni le tout en volume… et je le leur ai adressé. Au bout de quelques temps un professeur de Cambridge que nous connaissions m’écrit : « j’ai traduit votre livre en anglais. Et les presses universitaires de Cambridge ont décidé de l’éditer. Êtes-vous d’accord ? »  Pardi que j’étais d’accord.

Bien que ce soit assez peu orthodoxe de faire éditer un livre sur la Provence en Angleterre…. Je me vois encore en train de lire les épreuves avec mon mari « l’anglais prononcé avec l’accent provençal, je ne vous dis que ca ! ».

Et riant de bon cœur… C’est André Gide qui s’est offert le premier à me faire éditer en français. Il a porté mon manuscrit chez Gallimard qui lui a dit : « ce ne serait pas mauvais. Mais il faut en faire un roman ».  –« Un Roman ? Comment voulez-vous que je fasse un roman avec les histoires d’un village de 120 habitants, disais-je, je ne peux tout de même pas faire marier la secrétaire de mairie avec le garde-champêtre ? Gallimard, dans ces conditions n’en a pas voulu. Grasset non plus. Ni les autres. Et Maurois, Vildrac et tous les écrivains français qui venaient chez nous disaient la même chose : « il faudrait que ce soit un romain ! ». Les années passèrent. Jusqu’au jour ou l’ami de Cambridge qui m’avait fait éditer en anglais rencontrait un collège d’Oxford « Tiens lui dit-il, j’ai là un livre d’une Provençale traduit dans notre langue. Mais les Français ne peuvent pas le lire parce que personne, là-bas, n’a    voulu le publier. Alors qi vous aviez un peu d’humour –ce qui vous manque cruellement à Oxford, je le crains-, c’est vous qui le feriez éditer à Paris ».  –Et l’invraisemblable est arrivé. Oxford a marché. Ils sont allées chez Denoël qui avait refusé mon manuscrit comme tout le monde, et ils sui ont proposé de publier mon livre à leurs frais. Je l’avais titré « Mont-Paon » et ça c’est vendu. Tant et si bien que Denoël m’a demandé de continuer à écrire et m’a pris tout de suite « Le Quartier Mortisson » qui a raté le Femina  d’une voix. La guerre, malheureusement, est intervenue, et tout a été changé. »

Je ne sais pas ce que vous en penserez, mais moi j’ai trouvé cette histoire merveilleuse : une carrière d’écrivain provençal  lancée d’abord en Angleterre puis imposée en France par les Universités d’Oxford et de Cambridge, ça ne doit pas arriver tous les jours. Et, ne serait-ce que pour cela, beaucoup de choses doivent être pardonnées à nos voisins d’Outre-manche.

 

 

 

 

 
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