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BESTIAIRE DES LEGENDES DE PROVENCE Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
Drac, Tarasque, Coulobre.. et la chèvre d'or !

BESTIAIRE DES LEGENDES DE PROVENCE

La Culturothèque – 15.03.2016 – Michèle

 

 


Il  semble que notre beau ciel de Provence  ait été apprécié par quelques dragons ou autres animaux fantastiques dont les légendes ne manquent pas. Pourquoi ?  Souvenir de fêtes païennes pour fêter le retour du beau temps avec la victoire du soleil sur les temps difficiles de l’hiver ? Il y en a qui disent que le dragon représentait l’énergie du débordement des eaux, que ce soit d’un fleuve, d’un torrent ou d’un lac et suivant les légendes le dragon peut avoir différentes formes. Il est quelquefois décrit comme un oiseau, un génie du soleil, un lutin ou ondin, un loup-garou ou même un être humain. Le Drac comme les autres Drakos, vit essentiellement dans les eaux douces, les rivières, les sources et les puits. Son apparence varie selon les légendes. On le représente parfois avec un joyau sur le front, comme la vouivre (roman de Marcel Aymé, Franche Comté), ou bien avec de longs cheveux d’algues vertes et des nageoires translucides, comme les ondins  (sirènes, tritons,…) . Il peut même prendre l’apparence d’un agneau blanc, d’un lapin, d’une bûche, d’un âne noir, d’une  jument rousse, d’un lutin, voire d’un être humain, ce qui lui permet de se mêler aux villageois les jours de marché. Il hante souvent les lavoirs où il enlève les nourrices pour les obliger a allaiter les enfants, les petits Dracs qui ne sont sevrés qu’au bout de 7 années[1]. Les nourrices sont alors remises en liberté et racontent des récits extraordinaires de leur séjour dans l’eau et du palais du Drac.

Le mot Drac, est un mot occitan qui veut dire dragon. A Beaucaire, il a son épouse, la Draquesse et son enfant le Dracounet, mais le Drac n’est pas seulement Beaucairois, on le retrouve en Catalogne, en Dauphiné, en Auvergne…

Celui de Beaucaire est décrit pour la première fois en  1200 par Gervais de Tilbury[2] son ouvrage   « De lamis et dracie et phantassis » qui fait partie de son ouvrage « Divertissements pour un empereur » et qui est une forme encyclopédique des connaissances de l’époque. Ecrit en latin cet ouvrage est divisé en trois parties (création et les premiers temps du monde, description des parties du monde des provinces et des peuples et une série de merveilles du monde). Il a été beaucoup lu durant le moyen âge et a été traduit par Jean de Vignay. Depuis  on a remis en question cet ouvrage qui est qualifié par  quelques  scientifiques/philosophes comme « ramassis d’histoires stupides de vieilles femmes ».

Si je vous pose la question : avez-vous vu le Drac de Beaucaire ? Vous allez me répondre que oui, il est sur la place Vieille ou dans la Mairie !

Mais il semble que le Drac de Beaucaire n’a jamais été vu. Je vais vous raconter pourquoi, à ma façon bien sûr !

« Un jour, Roseline, jeune à l’époque (c’est normal, l’histoire se passe il y a longtemps !), vient laver son linge sur les bords du Rhône. Elle s’agenouille, prend la grosse pierre plate qui lui sert de lavoir et commence par sa jolie petite nappe brodée préférée… elle commence à la savonner  et à l’aide de son battoir frappe dessus vigoureusement.  Mais, Roseline, maladroitement laisse le battoir lui glisser entre les doigts et, alors qu’il s’éloigne, elle essaie de le rattraper alors qu’il est poussé par le courant. Sans réfléchir davantage, Roseline, sort ses chaussures, remonte sa jupe et pénètre dans l’eau. Le battoir file de plus en plus vite, bientôt Roseline a de l’eau jusqu’au genou, puis jusqu’ à la taille. Tout à coup un galet roule à ses  pieds et elle sent  que quelque chose l’entraîne par la cheville. C’est le Drac qui l’emmène dans son palais de cristal. « Belounette, lui dit-il dans la grande salle du palais, ne crains rien ! Je ne vais pas te manger, du moins pas tout de suite si tu m’obéis. Mais gare à toi si tu agis autrement ! Mon épouse, la Draquesse, vient de mettre au monde mon fils, mon petit Dracounet. Mais elle est fatiguée et malgré ses six paires de mamelles n’arrive pas à nourrir notre enfant. Toi aussi tu viens d’avoir un enfant, tu seras donc la nourrice de mon fils : tu lui donneras le sein autant qu’il le faudra ».

Tous les jours suivants le Drac rentre dans la chambre de Roseline et assiste à l’allaitement du Dracounet. Une fois l’enfant rassasié il lui ordonne de passer sur le corps du petit  une pommade transparente et incolore. Le Drac lui précise de se laver obligatoirement chaque fois les mains pour faire disparaître entièrement la pommade. Roseline ne se le fait pas dire deux fois, l’odeur nauséabonde de cette pommade lui rappelle trop l’odeur de la vase !

Un jour, alors qu’elle badigeonnait  le Dracounet, son œil droit lui pique et elle le frotte machinalement de son doigt couvert de pommade.

Le temps passe, un matin le Drac entre dans la chambre de Roseline et lui dit « Cela fait 7 ans que tu nourris mon fils  comme s’il était le tien, il est assez grand maintenant pour manger de la viande. Tu peux rentrer chez toi. Je ne tiens pas à te manger, tu es trop gentille, mais ta compagnie est aussi très agréable et la Draquesse est jalouse de tes blagues, aussi je ne peux non plus te garder ! Va donc t’en retourner chez toi, mais ne dis à personne ce que tu as vu ici, sinon il t’en cuira ! ».

Roseline rentre chez elle, retrouve son mari et son enfant et raconte son histoire.  Ce sont des larmes, des bisous, ils sont tellement heureux de se retrouver ! Mais avec les voisins, c’est une autre affaire, on connaît bien les histoires de Roseline et on pense qu’elle se moque du monde, alors elle garde pour elle ses souvenirs et cesse de parler du Drac et du palais de cristal.

Un jour que la foire bat son plein, Roseline va s’installer au beau milieu des vendeurs avec ses jolies chaises rempaillées avec beaucoup de soin avec des restes de paille, tout au long des veillées de l’hiver… Elle est fière de son travail, le soleil commence à chauffer quand… Roseline aperçoit le Drac en personne qui tient le Dracounet par la main tout verts et couverts d’écailles. Autour d’elle personne ne les voit. Elle comprend qu’elle est la seule à les voir !  Et, vous connaissez Roseline, au lieu de s’enfuir très loin, elle tape sur l’épaule du Drac, toute souriante, et lui demande des nouvelles de la Draquesse. Croyez vous que se soient des choses à faire ? Le Drac très gentil lui demande des nouvelles de son mari et de ses enfants (Roseline a eue un autre bébé depuis son séjour dans le palais de cristal), puis il lui dit : « Approche Belounette, approche, que je te glisse le secret d’un trésor au creux de l’oreille », Roseline s’approche et là, d’un seul coup, le Drac lui plante son doigt crochu dans l’œil droit ! »

Vous comprenez maintenant pourquoi personne ne peut plus voir le Drac si vous vous promenez au bord du Rhône ! Bon, moi je pense quand même que depuis le Drac a été bien puni, car avec la pollution du Fleuve, il y a bien des chances qu’il ait déménagé depuis longtemps son palais de cristal !

Vous en avez aussi peut-être entendu, d’autres Dracs étaient aussi à Arles, ils se trouvaient près de la porte Nord de la ville, au pied de la muraille d’un bastion et, par nuit claire ils prenaient une forme humaine.

Pour Mistral ce serait à cet endroit que l’on aurait découvert  des monuments du culte païen de Mithra. Le corps du dieu était entouré d’un grand serpent et il portait des vêtements sur lesquels étaient figurés des signes du Zodiaques. On peut… peut-être se demander si la légende d’une lavandière de Beaucaire, enlevée pendant 7 ans par un dragon et qui reçoit le pouvoir de reconnaître le Drac sous sa forme humaine, ne représente pas un souvenir lointain de l’initiation aux mystères de Mithra.

Comme vous l’a dit Jean, le mithraïsme a été la dernière forme de paganisme sous laquelle, au IVe siècle de notre ère, il a tenté de lutter contre le christianisme. Il vous l’a dit aussi, cette religion était  propagée par les légionnaires romains. Elle groupait les fidèles dans des cénacles[3] où régnait une hiérarchie de sept grades correspondant aux sept sphères planétaires et qui portaient des noms symboliques d’animaux : corbeau, lion… L’initiation avait lieu dans des cavernes ou des caves. Des jeux de lumières, des déguisements rituels, des fantasmagories diverses accompagnaient  ces cérémonies dont on ignore les détails. Les femmes étaient admises à l’initiation mithriaque. Elle peut éclairer cette sanction brutale infligée par le Drac à une lavandière qui avait été… peut-être trop bavarde ! C’était une époque où les initiations païennes subsistaient et ou tout adepte à ces mystères s’exposait aux poursuites des tribunaux ecclésiastiques.  On sait aussi qu’il y avait des épreuves préparatoires  à l’initiation aux mystères de Mithra, notamment celle de nager jusqu’aux limites de ses forces dans  les eaux d’un torrent ou les tourbillons d’un fleuve….

Dans l’iconographie chrétienne le dragon est souvent représenté. La lutte entre un saint et un dragon qui représente le païen non converti ou plus largement les forces du mal, est une allégorie classique dans l’histoire de la chrétienté.

D’après l’Apocalypse selon Saint Jean le Dragon est l’un des noms de Satan. Ap 12.9 : « Ainsi fut culbuté le grand Dragon, le serpent primitif appelé Diable et Satan » ou Ap 20.2 : « Je vis encore un archange descendre du ciel : il tenait à la main  la clé de l’abîme et une grande chaîne. Il maîtrisa le Dragon, le serpent primitif appelé Diable et Satan ».

On peut reconnaître par exemple Saint Michel, un des trois archanges (avec Raphaël et Daniel) mais qui est aussi un saint qui  a terrassé le diable. Saint Michel est donc souvent représenté pesant les âmes, mais avec un diable qui pèse sur la balance ou, souvent en habit guerrier, ailé qui terrasse le diable… ou le Dragon.  Mais notre abbaye de Saint Michel de Frigolet est plutôt dédiée à Saint Michel l’archange….

Sainte Enimie : Dans le Rouergue, le Drac est parfois représenté comme un loup-garou, homme le jour et loup la nuit. Il sort alors se nourrir et pour dévorer -avec une prédilection pour les enfants et les jeunes femmes vierges-. Pour se transformer, il doit entrer en contact avec sa peau de loup qu'il cache quelque part dans sa maison. Si la dite peau est brûlée, la malédiction est levée. Il est raconté que ce Drac est le fruit de l'union entre le Diable et une jeune mortelle encore vierge (légende de Ste Enimie écrite par le Troubadour Bertran de Marseille  -Gévaudannais)

Saint Hermentaire vainqueur du Dragon.  Cette légende figurerait l’implantation du christianisme dans les Gaules en se substituant au culte du dragon, cette légende a donné le mot Draguignan (draconum, terminaison guinum qui signifie habitants). La coutume, longtemps conservée, faisait que les consuls et les maires de la ville avaient le droit d’appeler Drac les enfants qu’ils tenaient sur les fonts baptismaux….  (Légende non répertoriée).

Saint Véran  qui selon la légende chassa la Coulobre qui s’est envolée dans les Alpes ou elle s’en est allée mourir. Son lieu de chute serait Saint-Véran. C’est là qu’on retrouve les monstres statufiés sous le porche de l’église. Lorsqu’on remonte le sentier qui mène vers la source de Fontaine de Vaucluse on croise encore le « Traou dou Couloubre ». On voit encore dans cette légende la lutte de l’évêque contre les anciens cultes. Sur la falaise qui domine la fontaine on y trouve aussi la « Vache d’Or » qui devait être sûrement le lieu d’un antique culte qui célébrait la force et la forme de l’eau et de la pierre…  Vous connaissez l’histoire, Pétrarque aurait été attaqué lui aussi par la Coulobre alors qu’il se trouvait au bord de l’eau avec sa bien-aimée. Il a tué le monstre d’un coup d’épée, mais Laure est morte ensuite de la Peste… Cette histoire est née au cours du XVe siècle en plein pétrarquisme sur la base d’une fresque peinte par Simone Martini dans la Cathédrale Notre-Dame-des –Doms d’Avignon qui représentait le combat de Saint George terrassant le Dragon  La vox populi a transformé Saint George en Pétrarque et le dragon en Coulobre !

Saint Honorat, lorsqu’il débarque dans l’île qui porte aujourd’hui son nom, le diable (paganisme) n’y était plus, mais les serpents y vivent encore. Il se prosterne donc et supplie Dieu de les exterminer. Tous les serpents meurent, mais ils étaient si nombreux que leurs cadavres infectent l’air et Honorat manque de suffoquer. Il lui faut monter au sommet d’un palmier et là il se remet à prier avec ferveur. Alors la mer se soulève, inonde toute l’île et emporte, en se retirant, les charognes des serpents. Le blason du monastère représente deux palmes qu’enlace un serpent  (Vie d’Honorat racontée par St Hilaire, son successeur).

Mais l’iconographie des saints ont, pour la plupart, leur origine de la « Légende Dorée »  de Jacques de Voragine. Jacques de Voragine, dominicain, était un chroniqueur italien du XIIIe siècle qui raconte la vie de nombreux saints et martyrs chrétiens qui ont subi les persécutions des romains.  

On peut citer l’un des plus célèbres, comme

Saint George de Lydda (St George et le Dragon), George de Lydda est né en Cappadoce dans une famille Chrétienne et est engagé dans l’armée romaine sous les ordres de Dioclétien. Un jour il traverse Silène dans la province romaine de Lydie dont les habitants sont terrorisés par un dragon qui dévore tous les animaux et qui demande également un tribut de deux jeunes gens tous les jours. Un jour le tirage au sort tombe sur la fille du roi. George engage un combat avec le  dragon avec l’aide du Christ et après un signe de Croix il de transperce de sa lance. La princesse est délivrée et le dragon la suit comme un chien docile. Les habitants soulagés se convertissent tous au christianisme et reçoivent le baptême. Mais le dragon effrayant toujours la population est tué d’un coup de cimeterre par George et sa dépouille est tirée hors de la ville par quatre bœufs.  Après la publication des édits de Dioclétien contre les Chrétiens, George est emprisonné. Il subit un martyre effroyable mais sa foi ne sera jamais ébranlée. Il est donc décapité le 23 avril 303.

Mais dans la « Légende dorée » il y a aussi Sainte Marthe et… La Tarasque.

« Il y avait, à cette époque sur les rives du Rhône, dans un marais entre Arles et Avignon, un dragon, moitié animal, moitié poisson, plus épais qu’un bœuf, plus long qu’un cheval, avec des dents semblables à des épées et grosses comme des cornes ; il se cachait dans le fleuve d’où il ôtait la vie à tous les passants et submergeait les navires… ».

La légende dorée dit que Marthe était accompagnée d’une servante, Martilla, (Marcelle) qui aurait écrit  « Une Vie de Sainte Marthe» qui aurait été traduite par Synthique en hébreu et c’est dans  le « Pseudo-Marcelle » qu’est décrit pour la première fois  le monstre de Tarascon « Il y avait alors au bord du Rhône, à côté d’un grand rocher, dans un bois entre Arles et Avignon vers l’ouest, un énorme dragon mi-animal (terrestre) mi-poisson, qui tuait beaucoup de gens passant et traversant, y compris ânes et chevaux, et retournait les bateaux sur le Rhône. On avait beau venir en grand nombre et en armes, impossible de le tuer, car il quittait le bois et se cachait dans le fleuve… ».  En fait on ne sait pas si la Tarasque vivait sur terre et allait chasser dans le Rhône, ou si elle vivait dans le Rhône et allait chasser sur terre ? C’est seulement une tradition orale qui situe sa cachette « le trou de la Tarasque » sous le rocher du château. Les historiens n’ont jamais pu aller vérifier car il y a à cet endroit de très forts remous. Mais peut-être qu’à l’époque de Marthe il y avait là des marais malsains et impraticables et ce n’est pas surprenant que des fauves redoutables y aient élus domicile…

Mais quel était ce monstre. Si l’on reprend le Pseudo-Marcelle, il était « Plus gros qu’un bœuf, plus long qu’un cheval, il avait la face et la tête d’un lion, des dents aiguës comme des épées, une crinière de cheval, le dos tranchant comme une hache, les écailles hérissées et coupantes comme des tarières, six pattes aux griffes d’ours, une queue de serpent, un double bouclier comme une tortue de chaque côté. Douze lions ou ours ne pouvaient en venir à bout ». A cette description de nombreuses personnes on pensé au crocodile. Il y  a des chances qu’un crocodile soit venu en Provence, d’ailleurs il figure bien sur les armes de la ville de Nîmes enchaîné à un palmier ! Une des légions romaines qui avait occupé la ville avait déjà combattu en Egypte. On sait également que des crocodiles avaient été utilisés pour les jeux de l’arène dans la Narbonnaise.

Alors crocodile ? Peut-être, mais si on analyse le Pseudo-Marcelle on remarque que les éléments donnés sont des qualificatifs (la taille comme un bœuf ou cheval, la forme comme la tortue…)  et les termes descriptifs (queue de serpent, écailles, crête, dorsale, griffes d’ours, six pattes) sont ce que les hommes redoutent le plus chez toutes les bêtes féroces (vitesse = 6 pattes – force : griffes – pouvoir fascinateur : queue de serpent – invincibilité : écaille, crête dorsale).

(Description de la Tarasque des fêtes de Tarascon).

Mais revenons à notre Tarasque lorsqu’elle était encore au bord du Rhône. Les hommes la craignaient beaucoup et aucun ne réussissait à l’attraper ou la tuer. Un jour douze[4] hommes très courageux se réunissent pour vaincre la Tarasque : six sont mangés par l’animal, les 6 autres sont blessés et s’en retournent chez eux en colère. La légende raconte que ce seraient ces 6 valeureux combattants qui auraient fondés Beaucaire et Tarascon !

Sainte Marthe, qui avait fait le choix de prêcher la nouvelle foi chrétienne comme sa sœur Madeleine. « La région empestait le paganisme », il lui fallait donc un sacré coup de pub ! Et pourquoi ne pas chasser ce monstre qui désespérait les Tarasconnais ? Un jour, elle s’en va donc dans la forêt et trouve la Tarasque en train de terminer de manger quelqu’un. Elle lui jette de l’eau bénite, qu’elle avait bien sûr emportée avec elle et lui monte la croix de bois. Voilà que la Tarasque s’agenouille et prie Dieu… (Non là j’exagère !) Voilà que la Tarasque pousse un cri terrible (si fort que toute la région en a tremblé) et devient douce comme un agneau. Marthe n’a plus qu’à lui attacher sa ceinture autour du cou et la ramener vers les habitants qui la tuent sur le champ à coups de pierre et de lances.

Comme vous l’imaginez la région a été vite christianisée !

Est-ce la Tarasque qui a donnée le nom à la ville de Tarascon ?

Selon le Pseudo-Marcelle, le monstre s’appelait Tirascurus qui a donné le nom de Tirasconus au lieu qui s’appelait alors Nerluc (Bois noir, niger lucus). Chez Ptolémée on trouve le nom de Tarouskon qui était un oppidum des Salyens. C’est probable puisque les noms des ligures comportaient souvent la terminaison osc. Par contre on n’a jamais retrouvé de texte ancien qui mentionne le nom de Nerluc, si ce n’est qu’un quartier de Tarascon s’est appelé, plus tard, le Boz négré.

Donc apparemment le nom de la ville de Tarascon n’a jamais changé et ce serait le monstre qui aurait pris le nom de sa ville natale.

Certains auteurs, (par exemple H. Donteville, « la mythologie française » 1948) signalent toutefois que l’on peut faire aussi un rapprochement avec les travaux d’Hercule. En effet Hercule a vaincu le géant Taurisque, un autre monstre qui a sévi dans les parages. Dans la version herculéenne (latine et non « héracléenne » grecque) du mythe, Ammien qui est passé au Mont-Genèvre dit qu’Hercule a détruit Géryon, tyran d’Espagne, et Taurique, tyran de la Gaule. La localisation de Tarascon peut-être valable car la ville est sur la voie héracléenne et les noms se ressemblent ! D’autre part il précise que tarasque pourrait avoir comme origine la racine tar qui signifie, pierre, rocher en (pré indo-européen) ou taureau.

Quoi qu’il en soit… La Tarasque est toujours vivante de nos jours. Une autre légende raconte que le « Bon Roi René » aurait, en 1474 institué les fêtes de la Tarasque « pour faire sourire son épouse Jeanne de Laval ». Le Roi René friands de traditions et de fêtes n’aurait seulement fait que cadrer des fêtes, plutôt païennes, qui existaient en Provence à son époque…

Aujourd’hui la Tarasque sort de son trou, et court dans la ville avec ses six pattes (six hommes à l’intérieur). De ses naseaux sortent des fusées (serpenteaux) et elle monte sur les trottoirs pour renverser le plus de monde possible (il n y’a pas si longtemps à l’issue de cette fête on comptait de nombreux morts)  et ceux qui essaient de la saisir sont vite obligés de la lâcher car les Tarasquaïres leur tape dessus avec des nerfs de bœufs. Pendant toute la course on crie : La gadeù, Lagadigadeù, la tarascou ! La gadeù, Lagadigadeù, lou casteù !

L’histoire serait encore simple si ce n’est que, dernièrement, lors d’une randonnée aux Baux de Provence nous allions sur les traces du Lion de l’Arcoule. La discussion s’engage rapidement pour essayer de découvrir ce que représentait ce fameux lion qui se trouve maintenant à l’entrée du Musée d’Arles Antique. Janice nous précise qu’il date d’avant l’arrivée des romains, le 1er siècle avant J.C. sûrement. Mais y avait-il des lions dans notre région à cette époque occupée par les Celto-Ligures ? Janice pense que le lion était chargé, comme le cheval de Mouriès, sur le site de ce qui pourrait être Tericiae (caisses de Jean-Jean) une stèle. En effet ces animaux avaient la fonction  d’amener les âmes dans l’au-delà.

Et puis tout naturellement la conversation se poursuit avec la Tarasque de Noves ! La Tarasque de Noves serait  une des premières reproductions de la Tarasque. Elle se trouve au Musée lapidaire d’Avignon. On a cru longtemps cru qu’elle était un ours. Mais elle serait en fait un  un lion et décrite ainsi par Salomon Reinach, archéologue « La bête est assise sur son train de derrière. Sur chacune de ses pattes repose une tête barbue qui supporte une patte antérieure du fauve. La gueule du lion largement ouverte, contenait probablement la partie inférieure d’un corps humain (le groupe est mutilé à cet endroit), car deux tronçons de bras humains, dont l’un est orné d’un bracelet, semblent avoir appartenu à ce corps ». Elle a été découverte en 1849 dans un champ près du cimetière de Bompas lors d’un dessouchage d’un mûrier. L’animal est assis sur son train de derrière. Sur chacune de ses pattes postérieures repose une tête barbue qui supporte une patte antérieure du fauve. La gueule est largement ouverte et contenait peut-être la partie inférieure d’un corps humain car deux tronçons de bras humains, dont l’un est orné d’un bracelet semble avoir appartenu à un corps. Les têtes coupées de ce groupe, presque aussi barbares que celles d’Entremont ou de Velaux  portent des moustaches à la gauloise… La Tarasque de Noves est-elle antérieure aux romains et à la christianisation de la Provence. Peut-être ou… peut-être pas !

En parlant de Randonnée mercredi dernier nous sommes allés à la « Grotte aux Fées ». Maintenant la grotte est fermée par une grille. C’était autrefois la grotte de la Tavèn où Mireille et Vincent ont fait leur fameuse glissade, et aussi c’est là que la sorcière préparait ses philtres. L’entrée est fermée par de grilles solides, et de toute façon il n’aurait pas été question de descendre dans la grotte. En effet les « ratepenades » (chauves souris) en ont faire leur repaire. A une époque elles y étaient si nombreuses qu’on a pensé exploiter industriellement  leur guano comme engrais… Un trou a même été foré pour cela… Ne dit-on pas que « li ratopenado soun li mousco de l’enfer » (les chauves souris sont les mouches de l’enfer). C’est là que se tenait « la masco » et on peut y voir le sarcophage de la Tavèn  (qui est en fait une stalactite remarquable par sa forme). Un corridor de 40 m de long mène à la chambre de la Mandragore (La Mandragoule)  à la gorge zigzagante des Escaravas (scarabées). Une légende dit qu’elle exigeait comme tribut mensuel une jeune fille à dévorer mais les villageois en ont assez et un jour refusent tout net  de sacrifier ses enfants. Alors la Mandragore sort de son antre et fait des dégâts si graves qu’on se résout à lui offrir une proie, la belle Alix (des Baux ?). Guyot de Saint-Quentin monté sur une mule défie alors le dragon et le blesse à mort et délivre ainsi Alix. La Mandragore est enfermée maintenant dans un trou fermé par une porte en fer et sur lequel pousse la terrible « herbe qui rend fou » !

Maintenant que je vous ai montré l’endroit, si le cœur vous en dit, vous pouvez, moi je n’ai pas le courage, vous enfoncer plus loin et trouver l’antre de « La Bête Noire ». Mais attention ! Pour en sortir c’est un véritable labyrinthe !

Il y a longtemps, un homme a eu le courage d’aller jusqu’au fond du labyrinthe du trou des fées aux Baux de Provence.

Cet homme se nommait Abd al-Rhaman. Septième walli d’Espagne, nous sommes en 731 et ce maure a tenté de s’emparer des Baux mais a été vaincu par les indigènes des environs de Fretta. Fretta est une ville imaginaire, citée pourtant bien des fois et pose pas mal de problèmes aux historiens. Elle pourrait correspondre à St Rémy de Provence. Le Sarrazin informé que Charles Martel avance à marche forcée pour le défaire, décide de lever le siège et se dirige sur Marseille. Mais… son lourd butin de guerre ralentit considérable sa fuite et il est contraint de se délester de son trésor. La Légende dit qu’il est descendu dans la grotte des fées avec de nombreux serviteurs lourdement chargés. Apparemment Abd al-Rhaman connaissait bien les Baux et est allé directement à la grotte aux fées. Une fois le trésor entreposé il aurait égorgé tous ses serviteurs  (les morts ne parlent pas) mais lui ne reviendra pas de la guerre !  La grotte aux fées, il est vrai, garde une grande part de mystère. On a appris la venue « discrète » dans ces lieux souterrains des membres actifs de plusieurs loges de la Franc-Maçonnerie pendant la Révolution Française… Dans les galeries on a trouvé un grand nombre de gravures : groupe de trois points en triangles, triangles, des yeux, des étoiles, des mains tendues, d’autres fermées. Un jeu de piste pour trouver le trésor ?

Ne vous posez pas trop de questions, ne cherchez pas le trésor, c’est bien vrai qu’il n’y a aucun doute pour qu’il soit dans la grotte aux Fées. Mais voilà, ce trésor est gardé par la Chèvre d’Or. La chèvre, comme vous le savez, efface à coups de sabots tous les signes qui permettent la recherche de tout  trésor. On la retrouve dans tous les lieux provençaux de magie, mais ici dans le vallon de Baumanière, elle lèche les murs, gourmande du salpêtre qu’elle trouve en tournant et retournant dans les carrières abandonnées. Elle efface à grands coups de sabots aussi tous les symboles sexuels que les passants font surgir des angles de la pierre. Il faut la craindre… mais ne fuyez pas lorsque vous la voyez car elle seule détient les clefs de tous les trésors de Provence !...

« Entre les roseaux emmêlés, difficilement je distingais un arrière-train couvert de poil borru, grisâtre et fauve, deux pieds à la corne fendue que, bien aisément, j'identifiais ; mais ce qui me surprenait au-dessus de toute expression, c'était d'apercevoir une espèce de sayon, d'étoffe grossière, plaqué contre l'échine et les reins. Accroupie, immobile sur ses jarrets, la bête ne laissait voir ni son avant-train ni sa tête. [...je sentis mes cheveux se dresser sous mon chaperon, une sueur de glace ruisseler dans mon échine [...] Car la tête qui se tournait vers moi avait une face humaine. [...] Mais ceci était encore peu de chose. Je sentis tout à coup comme un souffle d'abomination haleiner sur ma figure [...] car je venais d'apercevoir, plantées de chaque côté du large front, dominant la face terreuse, deux cornes, oui, deux cornes, l'une rompue misérablement en son milieu, et l'autre enroulée à demi dans une volute [...] »

En Camargue, vous le savez, rôde la Bête du Vaccarès…. Elle est très symbolique de la Camargue du XXe siècle. On veut la moderniser à tout prix au moyen de digues et nivellements divers, mais la modernisation s’oppose aux protagonistes d’une Camargue traditionnelle, ancienne, sauvage, préservée…

 L’humble gardian voit sa cabane de roseaux avec tristesse s’engloutir dans un marais la « Bête du vaccarès », symbole de la Camargue traditionnelle…

Comme nous ne voyons plus de Drac, de Tarasque… autres temps, mais peut-être… autres dragons !

De tous ces animaux, mon préféré, c’est la petite chèvre d’or… Savez vous que quelquefois je l’aperçois lors de mes belles randonnées en Provence, mais bien sûr elle se dérobe toujours ! Je ne perds pas espoir de la suivre un jour, … que croyez-vous, c’est elle qui me motive pour chaque matin lorsque je chausse mes chaussures de randos !

A votre avis : ai-je des chances de la rencontrer ?


 



[1] - Le chiffre comme la bête de l’Apocalypse à 7 têtes… 7 continents, 7 demandes dans le notre père, 7 sacrements dans la religion catholique… 7 péchés capitaux, le nombre de jours dans un quartier de lune.

[2] Gervais de Tilbury (né en 1152-1153 ou 1155 et mort vers 1233/34 ou  1237) est un clerc puis chevalier,  juriste, homme politique et écrivain du Moyen Âge.  

[3]  - le cénacle (du latin cœnaculum), désigne le lieu où l'on mange

[4] - 12 hommes, tiens on a déjà entendu parler du chiffre 12 : les douze tribus d’Israël de l’ancien testament, les douze apôtres, les douze signes du zodiaque… etc

 
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