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LE NOEL DES QUATRE REINES DE PROVENCE Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
La nuit des merveilles des "diamants" de St Maime.

LE NOEL DES QUATRE REINES DE PROVENCE

La Culturothèque – 1er décembre 2015

Avec l’histoire des quatre reines de Provence la légende n’aura jamais été si proche de la réalité… Leur histoire commence comme un conte.

Leur père le comte de Provence Raimond-Béranger V avait épousé Béatrix de Savoie et ils… vécurent heureux avec leur 4 filles : Marguerite, Eléonore, Sancie et Béatrice.

Bien que possédant des châteaux à Manosque, Sisteron, Brignoles et Aix en Provence le comte et la comtesse préféraient séjourner en Haute Provence et plus particulièrement au château de Saint-Maime, tout près de Forcalquier ou, paraît-il, le ciel est le plus pur d’Europe et le climat le plus sain et le plus doux du monde !

On dit que les petites filles du comte aimaient jouer à la  ferme de ce château, la Ferme des Encontres où elles courraient  en toute liberté dans un champ de blé ou se reposaient à l’ombre des platanes à écouter le piétinement des moutons et les chansons des cigales… Elles étaient sous la garde de leur gouvernante Flamenque.

C’est Marguerite, l’aînée qui menait les jeux et d’ailleurs elle avait toujours avec elle son preu chevalier : l’écuyer Catelan.

Pourquoi ne pas aller plus loin dans la légende en racontant qu’un jour passe sur le chemin Marca la brune, une gitane aux belles jupes colorées, qui prédit que toutes les filles de Bérenger V (qui se plaignait de n’avoir que des filles) seraient toutes les quatre reines. Elle rajouta même que l’aînée Marguerite fleurira longtemps sous un soleil de gloire en tant que reine du plus grand pays de la chrétienté, la seconde Léonore passera les mers et deviendra souveraine en terre étrangère, Sancie portera la couronne d’épines en devenant l’impératrice des sept douleurs et, la pitchounette, Béatrice régnera sur le royaume de l’oranger mais… la récolte sera le sang et les larmes. Ayant dit tout ça au comte, Marca s’enfuie aussitôt dans un « bartas ».

A peu près à la même époque, Béranger V, à Aix en Provence, en sortant de la messe, est abordé par un pèlerin avec sur le front une coquille, un gourdin à la main et une besace en bandoulière. En fait il s’agissait de Romée de Villeneuve, le fils du bailli d’Antibes qui revenait d’un long pèlerinage entre St Jacques de Compostelle et Rome. L’histoire se souviendra de ce pèlerin sous le nom de Roumiéu.

-          « C’est Dieu qui m’envoie pour me mettre à votre service, sire comte, dit-il à Béranger V.

-          Tu connais donc mes soucis ?

-          Je sais que vos coffres sont vides, mais je sais aussi que de grands bienfaits vous sont promis parce que vous êtes juste et que je restaurerai vos finances, si toutefois vous m’accordez votre confiance ».

Sa confiance, le comte va la lui accorder, tellement qu’il deviendra, son ami,  son ministre d’état et homme d’affaires familiales  et c’est lui qui sera chargé d’arranger les mariages de leurs filles.

En ce temps là, le royaume des rois de France était mené d’une main ferme. C’est Blanche de Castille, la veuve du roi Louis VIII  qui avait pour fils aîné un jeune garçon qu’elle venait de faire sacrer roi.

Pour Romée de Villeneuve, c’est l’occasion de lui proposer d’assurer la descendance du royaume des lys et… de plus l’idée d’unir ce royaume à la Provence n’est-elle pas formidable ? Romée se met en contact avec les ministres de la Reine douairière et c’est lui qui propose le mariage de Marguerite avec celui qui devait s’appeler par la suite Saint Louis. Une dot de 10 000 marcs est proposée avec pour gage le château de Tarascon (qui n’était pas, bien sûr, le château que l’on connaît aujourd’hui). Blanche de Castille se laisse séduire. Marguerite est jeune et, pour elle c’est aussi le moyen de continuer à influencer son fils dans la gestion du pays, sans compter que la dot mettrait du « beurre dans les épinards », car dans cette époque les impôts avaient bien du mal à rentrer, mais ça, c’est encore une autre histoire car la dot ne sera jamais payée.  

C’est le 27 mai 1234, Marguerite n’avait pas encore 13 ans et Louis IX tout juste 20 ans, que le mariage est célébré à Sens.  Marguerite et Louis se sont plu tout de suite. Louis lui offre une bague, en guise d’anneau nuptial, orné d’un gros saphir et à l’intérieur est gravé « Dieu, France, Marguerite : hors de cet annel, point d’amour »... De l’amour ils en auront toute leur vie et aussi ils auront 11 enfants. On dit que Louis n’honorera pas tout de suite son épouse, sûrement à cause de son jeune âge ? Non car il atttendait, en fait l’autorisation de sa mère pour la  retrouver dans sa chambre. Au soir du 4ème jour, Blanche de Castille donne l’accord à son fils, mais elle attendait devant la chambre en faisant les 100 pas. Lorsqu’elle pense que les « choses » sont terminées elle entre dans la chambre nuptiale. « En voilà assez pour ce soir ! dit-elle. Maintenant Louis, relevez-vous ! ». Et sans un mot pour Marguerite, elle ordonne au roi d’aller finir la nuit tout seul dans la pièce voisine.

Il aimait à la retrouver, et pas seulement la nuit, ce qui ne plaisait pas du tout à Blanche de Castille.

Après la cérémonie Li Novi partent pour Paris où Marguerite trouve une capitale grise, froide et bien différente de son pays ensoleillé de Provence. Bien sûr elle a emmené avec elle suivantes et troubadours qui vanteront auprès de la cour la belle langue d’Oc. Celui qui n’est pas du voyage c’est Catelan, Marguerite n’a pas voulu qu’il vienne, pourtant il avait bien annoncé qu’il ne quitterait pas  sa reine et qu’il suivrait partout « la cigale au chapeau », c’est la raison pour laquelle il fait le voyage tout seul. Malheureusement Blanche de Castille le fait arrêter sur le pont d’Avignon. Il réussit à s’échapper et à venir près des barrières du Louvre ou habite son amie. Il lui donne une sérénade « Quand les jours seront longs en mai et quand me suis éloigné de me ressouviens de mes amours lointains… ». Blanche de Castille à nouveau ordonne de s’en débarrasser en ajoutant « un roi de France ne peut être cocu, même en intention ». Trois brigands s’en s’ont chargé, surtout pour le voler, et on tué Arnault Catelan. On dit que le Pré Catelan, au bois de Boulogne, est le pré ou a rougi le sang du crime de Catelan qui s’est transformé en de belles marguerites … (aujourd’hui le Pré Catelan est le nom d’un restaurant très célèbre - Lenôtre). Bien sûr Marguerite n’en a jamais rien su, et lorsqu’elle a demandé des nouvelles de son page favori on lui a dit qu’il était parti pour Jérusalem.

Louis et Marguerite de toute façon ne tardent pas à se « croiser » aussi  car en effet, Marguerite suivra toujours son mari et peut-être aussi est-elle fortement encouragée par sa belle-mère qui voit ainsi l’occasion de régner librement sur la France. Ou… peut-être aussi Marguerite voit là l’occasion de lui échapper, d’échapper au sablier qui marque le temps où elle peut rencontrer son mari, qui lorsqu’il s’est écoulé, fait battre des mains de Blanche de Castille en disant « Allons mon fils, c’est assez ! ».  N’avait-elle pas déclarée lors des tractations du mariage à Romée : « La convoitise charnelle est le plus grand de tous les maux, œuvre du démon que mon fils ne doit pas éprouver. C’est pourquoi je veux une bru laide ».

Je ne vous l’ai pas dit, mais en Provence les quatre filles étaient appelées les « diamants » de Saint Maime, ou les « cigales » de Provence, on les a appelées aussi le « carré de Reine », les quatre reines de Provence, mais aussi les « demoiselles » de Provence et… aussi « Les grands-mères de l’Europe ».

Après le mariage de Marguerite, Eléonore se désolait de n’avoir pas été choisie bien qu’elle considérait être la plus belle des quatre « diamants ». Mais Romée de Villeneuve n’avait fait que répondre aux usages, en effet en ce temps là on casait chaque fille par rapport à sa date de naissance.

Un évènement vient toutefois rassurer la belle Eléonore. Richard de Cornouailles, lors de son retour des croisades, est reçu à la cour de Provence. Richard est ébloui par la beauté d’Eléonore et, bien sûr ne fait aucunement attention à sa cadette qui jouait avec lui. Richard était marié, mais il pense qu’Eléonore ferait une merveilleuse épouse pour son frère Henri III d’Angleterre qui lui est libre. Revenu à Londres, Richard fait une description enthousiaste d’Eléonore, « belle comme l’aurore aux doigts roses et à l’esprit vif comme l’eau claire » à Henri qui se met à rêver nuit et jour de la belle princesse provençale.

Il dépêche un envoyé pour faire sa demande qui a failli ne pas aboutir du fait de sa dot qui n’était pas assez élevée. De toute façon les caisses provençales sont vides et on ne peut proposer que des promesses. Romée et là, il parlemente avec l’envoyé d’Henri III « voyons une pucelle de cette qualité vaut plus que tout l’or du monde et le bonheur est sans prix ». Après maintes et maintes palabres, l’envoyé anglais reçoit enfin l’ordre d’Henri III « Ramenez-moi la dame sans délai, avec ou sans argent ». En effet, il a passé assez de temps à parlementer pour sauver la face.

Eléonore saute au plafond : elle va devenir l’égale de Marguerite qu’elle a tant jalousée. Elle exige un mariage bien plus beau, bien plus riche que celui de sa sœur. Henri n’ose rien lui refuser, dès leur première rencontre à Canterbury il est subjugué par la beauté d’Eléonore. Pour son malheur car il restera prisonnier de son charme jusqu’à la fin de sa vie et… si Marguerite était une bru docile et une épouse aimante, Eléonore est coquette et dépensière. Déjà le mariage se déroule sous un luxe inouï. Les bijoux de la couronne a eux seuls valaient beaucoup d’argent, de plus il y a des centaines de plats avec d’innombrables ménestrels qui doivent chanter l’incomparable beauté de la deuxième fille de Provence.

Eléonore comble d’honneurs et de cadeaux son entourage, invite sa famille, sa belle-famille, ses oncles et de nombreuses familles nobles de Provence. Les troubadours resteront après le mariage pour chanter encore et toujours sa beauté, mais ça n’empêche pas Eléonore de se faire détester par la cour d’Angleterre et par le peuple car elle va toujours demander plus à son mari jusqu’à vider les caisses de l’Etat et se faire inviter de château en château en épuisant financièrement les hôtes qui sont plus heureux de leur départ que de l’honneur qui leur ai fait de les accueillir.

Eléonore va mettre au monde le Future Edouard 1er au Palais de Westminster, puis un deuxième fils Edmond et encore trois filles.

La révolte menace et le couple royal doit se réfugier à la Tour de Londres. Lorsqu’Eléonore tente une sortie elle est houspillée par les mécontents, insultée aussi et… même bombardée d’immondice et d’oeufs pourris. Au lieu de se calmer elle fait plutôt le serment de « dominer ce peuple anglais, ces barons et ces rois ». Elle tiendra parole et je vous  prie de croire que les Anglais ne la portaient pas dans leur cœur.

Elle va agir en « enfant gâtée » jusqu’au décès de son mari. Après il lui faut se retirer  au couvent de d’Amelsbury et ensuite se réfugier auprès de sa sœur à la cour du roi de France pendant la guerre civile. Là toutes les deux se souviennent de leur enfance dans la Ferme des Encontres à Saint Maime, le charme et les douceurs du ciel de Provence. Eleonore fera le vœu d’être transportée et enterrée au château de Mane. Les écuyers qui lui avaient promis d’enterrer sa dépouille en Provence  ne tiendront pas parole. Morte elle retournera en Angleterre et son fils, Edouard 1er la fera enterrer au couvent d’Amelsbury ce qui épargnera sa sépulture durant la révolution….

Mais revenons quelques temps en arrière, sous la sage politique de Raimond V et l’habile administration de Romée. Le comté prospère et la vie des provençaux n’a jamais été aussi agréable. Toutes les villes reconnaissent Romée comme un bon administrateur et en reconnaissance lui donnent des seigneuries, notamment Villeneuve et Cagnes où il aura sa résidence mais aussi Gréolières, Saint-Janet, Thorenc et la baronnie de Vence.

Cette ascension, bien méritée, fait des envieux, des jaloux qui n’hésitent pas à monter une cabale contre lui : ils insinuent que Romée s’enferme seul, tous les soirs, dans sa chambre, pour compter l’or d’un coffre qu’il a rempli de ses malversations. Les insinuations sont si fortes que Béranger  lui demande de l’accueillir dans sa chambre et de lui montrer le coffre. « Voyez vous-même comte de Provence ! » et il ouvre le couvercle du coffre qui laisse apparaître un grand crucifix sur sa défroque de pèlerin.

La légende rapporte qu’il a sorti sur le champ sa robe de bure et s’est coiffé du chapeau en s’écriant noblement « Paur sièu vengu, paure m’en vau » avant de secouer la poussière de ses sandales sur le seuil de la porte et d’aller se retirer pour le restant de ses jours au monastère de Cimiez. Mais comme je vous l’ai dit, ceci n’est qu’une légende !...

Mais… revenons aux deux autres filles du comte Béranger V. Sancie et Béatrice restent à « caser ».

Sancie est douce et calme. Elle aime la poésie. Elle est charmante. C’est peut-être la plus adorable des 4 sœurs. Sa santé est fragile.

Toute jeune on la fiance au comte de Toulouse Raimond VII. Celui là même qui est né à Beaucaire. Notre « Raimondet », qui forme le projet de divorcer pour  s’allier à la maison de Provence pour attirer les bonnes grâces du Pape Grégoire IX et surtout pour donner un héritier au comté toulousain qui, sans successeur, reviendrait à la couronne de France. Vous connaissez la suite… Le mariage de Sancie sera organisé par Eléonore. Elle a l’idée de la marier à son beau-frère, Richard de Cornouailles lorsqu’il devient veuf. Ce mariage sera célébré le 23 novembre 1241 à Westminster. Ce mariage n’est pas heureux. Richard est bien plus âgé que Sancie (20 ans de plus), il est dur, violent et Sancie n’est pas comme sa sœur Eleonore. Les deux sœurs sont trop différentes pour s’entendre, bien qu’elles aient de la tendresse l’une pour l’autre.

Quand Frédéric II est déposé par le pape c’est Richard de Cornouailles qui est couronné empereur d’Allemange et roi des Romains à Aix la Chapelle. La petite Sancie se retrouve impératrice sans l’avoir souhaité et même rêvé.

Elle ne reste pas longtemps en Allemagne où elle ne se plait pas du tout, pas plus qu’à Londres. Richard court le guilledou et affiche même une liaison avec la belle comtesse Falkenberg.

Sancie meurt à l’âge de 38 ans désespérée des trahisons et de l’infidélité de son mari.  Elle avait eu trois garçons dont deux sont morts avant elle, c’est le second Edmond qui prendra la succession de son père avant de se séparer de sa femme pour entrer probablement dans les ordres. En tout cas il n’y a aucune descendance.

Il y  a donc trois comtesses mariées, il ne reste plus que la dernière pour voir la prédiction de Marca la brune se réaliser.

Marguerite et Eléonore correspondaient au sujet du mariage de Béatrice.  Il fallait lui trouver un bon parti. Elles doivent encore une fois intervenir afin de défaire  la promesse de mariage qui avait été, comme pour sa sœur Sancie, engagée avec Raymond VII. Sœur d’une reine de  France, une reine d’Angleterre et d’une impératrice, ne pouvait épouser un simple comte, ne serait-ce que le comte de Toulouse. Sancie va s’unir a elles  pour faire rompre cette promesse au profit… du frère de Louis IX : Charles d’Anjou.

Charles ne ressemblait pas du tout à son frère Louis. Chevalier fougueux, pas dévot pour un sou, il était fruste et brutal, cynique et cruel. Un époux détestable… mais pas tant que ça car lui aussi était assailli de reproches par son orgueilleuse de femme Béatrice : « Mes sœur sont toutes trois reines, je veux être leur égale… je ne veux plus m’asseoir à leur pieds, sur un tabouret, ni leur faire révérence ». Il l’a rassure, il essaie de l’apaiser car lui-même est assez ambitieux et il lui promet de la faire plus grande reine qu’elles.

Il tient parole. Enfin, il n’y est pas pour grand-chose car c’est plutôt le contexte de l’époque qui fait que le Pape Urbain IV lui propose le royaume de Naples et des deux Siciles. Charles et Béatrice sont couronnés à Rome le 28 juin 1265 par la victoire de Bénévent…. Mais l’histoire nous montrera que les rois de France devront entreprendre de funestes guerres contre l’Italie pour  soutenir les comtes de Provence.  Béatrice en tout cas est heureuse et pleine de fierté. Elle vient à Marseille au printemps 1265 et loge chez l’Evêque près de l’Abbaye Saint Victor avant de s’embarquer pour Porto-Venere et le Castel dell’Ovo.

Mais sa vie de Reine comblée ne sera qu’un rêve. Comme Marguerite elle suit son mari aux croisades et Charles va en plus ajouter la couronne de Jérusalem à celle de Naples et Sicile il devient ainsi le prince le plus puissant de la chrétienté. Il est sur le point de rétablir à son profit l’empire d’Orient quand la terrible réaction des « vêpres siciliennes » arrête son élan. Tous les français ont été tués simplement parce qu’ils ne savaient pas prononcer le mot « pois chiche » qui en italien, c’écrit « cicero » et se prononce « tchitchéro ». Seuls les italiens et les provençaux arrivent à s’en tirer à bon compte.

De retour en France Béatrice rend visite à sa mère qui s’est retirée à l’abbaye de la Celle depuis la mort de Raimond V. Délaissée par son mari elle s’enferme au château de Nocera et meurt à l’automne 1267. Elle avait eu 7 enfants : 1 garçon Louis (1248), mort bébé, Blanche (1250-1269), Béatrice (1252-1275), Charles II de Naples (1254-1309) qui succède à son père et devient comte d’Anjou, du Maine, comte de Provence et roi de Naples, Philippe (1256-1277), Robert (1258-1265), Elisabeth (1261-1300) qui épouse Ladislas IV roi de Hongrie.

Que reste-t-il de ces quatre reines ?  Seulement une vieille complainte du château de Mane : La reine d’Angleterre – Je crois la voir encor – Bien cachée sous terre – Dort dans son cercueil d’or.

LA NUIT DE NOEL DES QUATRE REINES DE PROVENCE.

En ces périodes de fêtes on se demande bien si, à l’occasion d’un Noël,  une si belle famille pouvait se retrouver !

En 1254, de retour de Croisade et juste après la mort de sa Belle-mère, Blanche de Castille Marguerite de Provence, Reine de France, prend l’initiative de réunir ses sœurs et leurs époux pour la nuit des Merveilles !

Ainsi sont réunis les monarques des quatre plus grandes nations de l’Occident Chrétien de cette époque.

C’est Aliénor qui arrive la première en compagnie de son époux Henri III Plantagenêt, roi d’Angleterre.

La plus ingénue et naïve des quatre sœurs, Sancie a fait le voyage avec son mari, Richard de Cornouailles, frère d’Henri III d’Angleterre.

La « Cacoio » ou la « caganis », comme on dit à Marseille, Béatrix arrive d’Aix. Elle est accompagnée de son époux Charles 1er d’Anjou.

Louis, avait tenu que son fils, Philippe,  le dauphin, que l’on n’a pas encore surnommé le Hardi, assiste à cette réunion de famille.

Béatrix, la dernière des sœurs, n’avait pas encore droit à un trône comme les autres convives mais… de sa royale main portant l’anneau nuptial, la Reine de France lui a désigné d’un geste négligeant, un bout de table devant lequel elle s’assied, dépitée….

Pour cette occasion Marguerite avait demandé à leur mère Béatrice de Savoie de lui envoyer des produits de la Terre.

Béatrix, leur mère a fait mieux : elle a envoyé son propre cuisinier pour préparer Lou gros soupa dans les règles de l’Art.

Au menu suivant la coutume, rien que des plats maigres mais pas de Cacho-fio ! Il est difficile  de trouver à Paris un olivier ou à sa place, trop compliqué aussi de trouver le bois d’un arbre fruitier mort dans l’année.

Pas de Siétoum contenant le blé vert et dru de la Sainte Barbe pour égayer la table

Mais on la recouvre de trois nappes : Une pour le père, Une pour le fils, Une pour le Saint Esprit sur lesquelles on dispose trois bougies, une branchette de fenouil soufrée et les douze petits pains symbolisant les apôtres.

Avec les olives et l’huile d’olive de la vallée des Baux, le chef a confectionné un vrai menu de Noël,  composé de sept plats en souvenir des sept plaies du Christ.

On a dressé, au final sur la table royale les Treize desserts correspondant à Jésus et ses apôtres :

Les quatre mendiants (raisins secs, figues sèches, amandes, noix ou noisettes) - Les prunes de Brignoles - Les poires d’hiver - Les pommes reinettes - Les sorbes ou melon verdau - Le cédrat confit, - La Confiture de coings et de fruits au raisiné - Le Nougat blanc - Le Nougat noir -Et, la fameuse pompe à huile ou fougasso d’Aubagne, fendue en forme de croix qui doit être rompue et non coupée… sous peine de ruine dans l’année.

Les rois et les princes se retirèrent dans la pièce voisine à la fin du repas…

Que se disent-ils, par cette froide nuit de Noël de 1254, ces grands monarques qui règnent sur tout l’Occident Chrétien ?

Ont-ils refait le monde ? Ont-ils mis fin au conflit entre Capétiens et Plantagenêts ? Ont-ils évoqué la lutte entre le pouvoir spirituel des Papes et le pouvoir temporel des monarques ? Ont-ils négligé les guerres de Religion ? Henri II devait ronger son frein durant le récit du Roi de France de la dernière croisade.

Richard avait répondu avec empressement à l’invitation de sa belle-sœur. Il est désireux de connaître ce roi de France dont on dit qu’il porte mieux la tonsure que la couronne mais qui est capable de tant de bravoure lorsque l’intérêt de son pays est en jeu !

Quand leurs époux eurent quitté la table, les quatre sœurs se rassemblent devant un beau feu de bois

En oubliant pour une fois les préséances. Elles  abandonnent leur port altier et redeviennent un instant les petites filles qui jouaient…. avec les nistons de la fermière Jordane dans les prairies de Saint-Maime.

Marguerite toute à sa joie s’exclame : Fan de chichourle ! Vrai, nous n’avons pas mangé que des parpelles d’Agasse !

Aliénor oubliant son Anglais (tant qu’elle l’aurait parlé ?)  fait chorus ! « Je frise l’estomagade », dit-elle.

La douce Sancie prend la parole à son tour et s’exprime dans leur langue natale, comme elles en avaient l’habitude quand elles ne voulaient pas être comprise de leur entourage ! Traduction : « Mesdames mes sœurs, en cette nuit de Noël, que l’on appelle chez nous la nuit des Merveilles, Jésus, Roi du Monde nous a consenti un miracle car c’est la première fois, depuis le départ de dame Marguerite pour la France, que nous nous trouvons réunies toutes quatre avec nos époux…. Bientôt dix ans que notre père nous a quittées mais, de là-haut, je suis sûre qu’il nous bénit, et notre mère… Elle eût été heureuse de voir glorifiés les fruits de son ventre, »

Interrompt Marguerite, « Mais comme vous savez elle vit retirée dans son couvent pour faire son salut et son état de santé ne lui a permis de se joindre à nous ».

« Je pense souvent, reprend Sancie, à notre enfance au pays du Soleil. Je revois le Palais comtal d’Aix, le château de Forcalquier, celui de Saint-Maime, et surtout de cette ferme des Encontres si chère à nos cœurs : Flamenque, notre gouvernante, Jordane et le Fermier Peiroun, nos jeux sous les platanes à l’ombre bleue, au milieu des bêlements et des sonnailles…. »

« Vous rappelez-vous, intervient Aliénor, quand nous jouions aux croisades, les hauts cris de Dame Flamenque ? Celle-là ! C’était un « tonnaire de l’air »  (Ero un tron de l’èr) ».

« Il y avait Catelan qui me tressait des couronnes de narcisses et chantait pour moi, dit Marguerite. Il m’avait juré éternelle fidélité. Lui qui voulait me défendre contre les loups et les ours, il m’a abandonné le vilain ! »

Les trois sœurs échangent un coup d’œil furtif. Elles étaient bien au courant de la vérité, mais Louis avait ordonné le silence pour ne pas peiner la reine et personne n’avait osé braver l’interdiction.

« Peuchère ! Murmure timidement Béatrix, il est parti aux croisades et vous le verrez revenir un jour chargé d’honneur et de gloire ».

« J’aimais son chant sur le luth, soupire Marguerite, et qu’il n’ait jamais donné signe de vie…. »

« J’ai fait venir maints troubadours à Windsor, interrompt Aliénor, et l’on parle notre langue à la cour ».

« J’ai tenté de faire de même à la cour de France, dit Marguerite. Louis ne s’y est point opposé mais madame Blanche a chassé nos cigales ». 

« J’ai essayé de vous imiter dit tristement Béatrix, mais Charles me l’a défendu. Il ne s’entoure que d’Angevins et de Français ».

« La joie d’être ensemble en un moment pareil et de parler notre langue m’a toute requinquée, » dit Sancie.

« Buvons, comme le veut la coutume, un peu de vin cuit de Palette qui est le sang de notre terre, décida Marguerite. Notre mère m’en a fait livrer un tonneau ».

« Avec le gigondas de Beaumes de Venise, c’est le nectar des dieux, déclare sentencieusement la reine de France. Je lève mon verre à nos parents et à tous ceux qui nous ont permis de le déguster ».

« Et moi je porte un toast au Roumiéu, cet athlète de Dieu qui m’a permis de régner sur la Grande île, déclare Aliénor avec impétuosité ».

« Buvons, mes sœurs, si vous le voulez bien, à notre bonne Flamenque, à la fermière Jordane et au fermier Peiroun, dit Béatrix ».

« Au souvenir de Catelan et de toutes les cigales de notre chère Provence, dit Sancie ».

Ainsi se termine cette soirée exceptionnelle où, pour la dernière fois, se trouvent réunies les quatre sœurs et les quatre frères et beaux-frères, Rois et Reines les plus puissants  de l’Occident Chrétien.

 
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