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10.03.2015 - Présentation "captivante" !

HISTOIRES DE FEMMES….

La Culturothèque – 10 mars 2015

 

 

COCO CHANEL

Coco Chanel, classée par le Time parmi les 100 personnalités marquantes du XXème siècle, à la veille de sa disparition Coco Chanel disait  «que ce qui est intéressant c'est la femme, pas le style, mais donner un style qui permet à toutes les femmes, riches ou pauvres d'être bien vêtues, je crois que c'est le seul petit titre que j'ai gagné dans tout ce métier que j'ai fait pendant tant d'années, parce je n'ai eue qu'une idée dans la vie, c'est que la mode descende dans la rue ».

« Ce n'est pas de moi qu'on peut attendre de mauvais goût, je ne peux pas le faire.... Qu'est ce que c'est que cette bêtise des robes qui sont en métal, qui sont en papier, mais c'est une plaisanterie... la mini jupe, je trouve ça indécent, sans intérêt pour les femmes, ça ne les embelli pas, sincèrement, la mini jupe dans la rue, ça ce n'est pas possible ».

Coco Chanel va perdre ce combat, le reconnaître, et prendre conscience que les années pop ou St Laurent ou Courrèges ne lui appartiennent plus.

« Coco Chanel est pourtant entrée dans la légende, elle a inventé le costume, c'est un merveilleux document » disent d'elle les couturiers.

Une légende... un document ?

Mademoiselle Coco, modiste, grande couturière et créatrice de parfums, une grande Dame qui est morte, malgré que tout le monde la connaît et tout le monde s'accorde à dire qu'elle représente « le symbole de l'élégance française », malgré sa fortune, dans la solitude le 10 janvier 1971 alors qu'elle s'apprêtait à présenter sa dernière collection.

Pourtant, rien, dans son enfance ne la prédestinait à cette gloire : née dans un hospice à Saumur tenu par des sœurs, le 19 août 1883, Gabrielle Chasnel est la descendante d'une lignée de marchands forains de Ponteils-et-Brésis à côté d'Alès.  Elle est la seconde fille d'Henri-Albert Chasnel, un camelot et d'Eugénie Jeanne Devolle couturière originaire de Courpière (Puy de Dome). Ses parents se marient après sa naissance et elle aura 5 frères et sœurs. On ne connaît pas son enfance mais elle s'accordait à dire qu'elle ne s'est pas sentie aimée par son père. Un homme aigri qui reprochait à son épouse d'être trop maigre et à ses enfants de l'avoir empêché de vivre la vie de succès dont il rêvait.  Pourtant Gabrielle aimait cet homme bourru.

Sa mère meurt alors qu'elle a douze ans. Tuberculeuse elle continuait à vendre sur les marchés dans le froid.

Gabrielle sera placée, avec ses deux sœurs, dans l'orphelinat de l'abbaye cistercienne d'Obazine en Corrèze. Gabrielle s'invente alors un père aventurier, négocient en vins parti faire fortune à New York qui lui fait de somptueux cadeaux... que personne ne voit. Son père a placé ses autres enfants à l'assistance publique et les garçons à tout faire dans des fermes.

Gabrielle apprend la couture à l'orphelinat en même temps qu'une vie austère et rigoureuse, et ne voulant pas devenir religieuse elle est placée chez les chanoinesses de l'Institut Notre-Dame de Moulins où elle retrouve sa tante Adrienne qui a le même âge qu'elle. Toutes les deux sont de bonnes couturières et n'ont qu'une ambition : gagner Paris et travailler dans de grands ateliers.  Elles sont placées en qualité de couseuses dans un atelier de layette.Mais elle ne veut pas partager le sort des « cousettes » et profite d'une visite chez son oncle à Vichy pour monter sur la scène d'un « beuglant » à Moulins (café-concert), la Rotonde qui est surtout fréquenté par des soldats.

Très timide au début, elle chante ensuite puis se produit en spectacle.

C'est là qu'elle sera baptisée Coco par les officiers car elle avait pour habitude de chanter « Qui qu'a vu Coco dans l'Trocadéro ».  Très jolie, Coco est courtisée par les officiers et séduit le riche Etienne Balsan qui lui fait découvrir la vie de château au domaine de Royallieu près de Compiègne. C'est peut-être son amant... mais surtout son ami de toujours. Avec Etienne elle apprend tous les codes de la haute société, elle révolutionne le vêtement en inventant des tenues équestres avec des costumes de peu, cravate et bandeau dans les cheveux, mais surtout elle rencontre Arthur Capel qu’on appelle « Boy ». C’est un homme d’affaire, dans le charbon. Il adore les chevaux et joue au polo.

Coco sort avec Boy et assiste aux courses de chevaux mondaines, elle y porte ses propres réalisations au style décalé, tantôt écolière en tenue sage noire et blanche, tantôt garçonne avec polo, cardigan, jodhpurs et pantalon : elle invente un nouveau style qui contraste totalement avec la mode de l’époque.

Coco veut travailler, elle s’installe dans la garçonnière d’Etienne Balsan et crée des chapeaux qu’elle propose à ses amies. La nouveauté et l’élégance de son style fait qu’elle doit appeler sa cousine Adrienne et sa sœur Antoinette pour l’aider : la simplicité de ses chapeaux sont très appréciés.

En 1910 Boy lui prête de l’argent pour ouvrir sa première boutique 21 rue Cambon à Paris « CHANEL MODES », puis l’enseigne change le nom à Deauville ou elle ouvre la boutique  « GABRIELLE CHANEL ». La boutique connaît un grand succès. Elle ouvre sa troisième à Biarritz et là ce sera sa première maison de couture : elle raccourcit les jupes, supprime la taille, bien sûr le corset (comme Paul Poiret). Ce sont les clientes fortunées qui se sont réfugiées à Biarritz et Deauville qui sont ses clientes.

En 1915 le tissus manque, elle n’hésite pas à tailler des robes de sport dans du jersey tissé pour les maillots des garçons d’écurie et des soldats.  Elle invente cette « silhouette neuve » qui libère le corps. Tout le monde veut être « maigre comme Coco » et la mode s’inspire de son idée de vie dynamique et sportive avec le jeu des codes féminins/masculin….

Elle achète à Rodier des pièces de jersey utilisé pour les sous-vêtements masculins et lance la marinière.

En 1918 Coco emploie plus de 300 ouvrières et rembourse Boy car elle refuse le statut de femme entretenue… mais elle sera très malheureuse lorsque Boy, la guerre terminée, épouse une aristocrate anglaise.

Elle est humiliée, l’histoire de sa mère se reproduit mais elle continue à l’aimer. 50 ans plus tard elle dira qu’  « en perdant Capel, je perdais tout ». Elle se raccroche à son travail et son succès va grandissant. Mais, comme sa mère, elle acceptera cette situation et continuera d'aimer Boy.

La mort de son amant l'affecte profondément, et pour ne pas sombrer dans le chagrin Chanel se raccroche à son travail.

Cette attitude sera payante, car le succès de ses modèles va grandissant et l'incite à développer encore sa maison.

Elle emménage dans diverses maisons qu’elle décore elle-même après avoir suivi de cours de décoration, jusqu’au 31 rue Cambon où se trouve encore sa maison de couture.

Elle s’associe avec la marque Bourjois qui diffuse ses parfums.

Elle a plusieurs amants, qui dit-elle « lui donnent l’inspiration ». Ce serait le Grand-duc Dimitri Pavlovitch de Russise qui lui aurait inspiré la forme du flacon de son célèbre  n°5 qui ressemble à une flasque de vodka des troupes russes…. Et elle adopte des éléments de costume masculin comme le chandail, la pelisse, le béret de marin ou la veste en tweed à son nouvel amant : le duc de Westsminster.

Elle souhaite la femme moderne et dynamique alliant le confort à l’élégance. Elle lance la mode des cheveux courts et aurait répliqué à Paul Poiret qui l’accusait de « transformer les femmes en petites télégraphistes sous alimentées »

qu’elle ne voulait pas de femmes ayant l’air « d’esclaves échappées de leur harem » se référant à la mode orientaliste de l’époque. Coco Chanel prône la simplicité, des tenues pratiques et ses créations s’inspirent des vêtements de sport des lieux balnéaires : cardigans en maille jersey sur jupes courtes avec chapeau cloche, les robes de soirées s’arrêtent au genou. En 1926 elle crée la célèbre petite robe noire  (à l’époque le noir était réservé au deuil). La petite robe noire deviendra le classique de la garde-robe féminine que nous connaissons tous.

Lui reprochant le « genre pauvre », si la toilette doit être simple, elle doit être en revanche agrémentée d’accessoires.

Elle coud de faux bijoux mêlant pierres semi précieuses ou fausses perles que des grands créateurs créent pour Coco.

En 1927 elle se fait construire une maison à Roquebrune-Cap-Martin, La Pausa où elle y accueille de nombreuses personnalités et beaucoup d’artistes et bien sûr le Duc de Westsminster…

Privilégiant toujours une silhouette épurée Coco Chanel va présenter des robes du soir légères, transparentes toujours dans des couleurs blanc, noir ou beige, bordées souvent de perles ou de strass… ces robes permettent aux femmes de s’habiller sans l’assistance d’une domestique.

Elle avait toujours des perles sur elle, elle ouvre aussi un atelier de bijoux fantaisie.

En 1932, elle crée « Bijoux de Diamants » une première collection de haute joaillerie…

1939 : elle est à la tête d’une entreprise de 4 000 ouvrières qui fournissaient 28 000 commandes par an.

Tout le personnel sera licencié  à la déclaration de la seconde guerre mondiale : elle a présenté une collection « bleu-blanc-rouge » puis ferme sa maison. L’annonce de la guerre donne à Chanel la possibilité de se venger de ses ouvrières qui avaient revendiqué de meilleurs salaires et conditions de travail lors d’une grève en 1936.

Désormais elle se consacre aux parfums.

Pendant la guerre elle sera considérée par certains comme une espionne à la solde des Anglais, d’autres à la solde des nazis…

Après la guerre elle vit à Lauzanne pendant 10 ans, à Paris le « New Look » de Christian Dior avec « taille de guêpe et seins pigeonnants » effondre tout son travail de libération du corps de la femme.

Elle revient en 1954, âgée de 71 ans à Paris sur l’insistance des frères Wertheimer (qu’elle a tenté de déposséder pendant l’Occupation) pour relancer la vente des parfums.

Elle se relance dans la couture et à contre-courant de Dior, elle veut imposer de nouveau des robes près du corps.

Le tailleur de tweed, complété par une blouse de soie, des chaussures bicolores et un sac matelassé à chaîne dorée deviendra un classique porté par toutes les stars mondiales… et souvent copié.

En 1957 elle reçoit un Oscar de la mode à Dallas, mais Marilyn Monroe la consacre en affirmant que la nuit elle ne porte que « quelques gouttes de N°5 ».

Les années soixante apportent la mode de la minijupe à laquelle Coco Chanel s’opposera farouchement disant que les genoux sont laids.

Les défilés de haute couture se déroulent toujours dans les salon du 1er étage du 31 rue Cambon où Coco les suit assise sur les marches de l’escalier qui mène à l’étage supérieur : elle observe la réaction des clientes par le biais de miroirs.

Concernant la mode hippie, Coco Chanel dit « que les modes n’étaient jamais bonnes lorsqu’elles venaient de la rue, elles étaient bonnes lorsqu’elles descendaient dans la rue ».

 Elle déteste la jeunesse en minijupe ou blue-jean, s’insurge contre le féminisme… elle masque mal sa réputation de « femme de fer » qui ne montre jamais son désespoir.

 

DUHODA.

La femme Celte (gauloise) on l'a vu il n'y a pas longtemps, était très respectée et était considérée comme un être moralement supérieur.

Elle jouissait d'un statut particulier  et pouvait être indépendante financièrement.  Ceci était dû au fait qu'elle travaillait comme les hommes, plus que les hommes mêmes puisque ceux-ci étaient occupés à la guerre.  Le mariage n'avait pas de caractère sacré et obligatoire, simplement un contrat qui, s'il n'était pas respecté devenait caduque.  Si le couple ne s'entendait pas, la femme pouvait demander la séparation et récupérait sa part financière de la vie commune.

Par contre, à l'époque romaine, la femme n'existait pratiquement pas. L'aînée, à la rigueur, a qui on donnait le prénom du père, mais pour les filles qui suivaient !?!... : « Tous les juristes ont relevé ce qu'on appelle la disparition forcée des cadettes ».

Les femmes étaient considérées comme les enfants : elles étaient, à part quelques exceptions, sous l'autorité du père ou du mari, c'est à dire politiquement mineures.

Il faut attendre le IVème siècle afin que les pères n'aient plus droit de vie ou de mort sur leurs enfants.

En 757 le capitulaire de Compiègne précise « Si quelqu'un s'étant marié, trouve que son épouse n'est pas vierge, il a le droit de la renvoyer et de prendre une autre femme, mais si celle-ci n'est pas vierge, il ne pourra la renvoyer car lui non plus ne l'est pas ayant connu sa première femme », il y a du progrès mais une légende dit qu'au Concile de Mâcon on ait clarifié sur la distinction des termes « homo » (être humain) » et « vir » (homme mâle).

On connaît l'utilisation de la loi salique pour écarter les femmes de la succession royale (1316 – 1328) mais à part les années militaires de Jeanne d'Arc on peut dire que les femmes sont proscrites de l'enseignement, du pouvoir et souvent même de sa place dans la société. Au fil, des ans, des siècles, ce sera encore pire car l'homme va laisser peu de place à la liberté des femmes, qui vont devoir travailler dur et se soumettre au pouvoir des hommes... quelquefois peu scrupuleux aussi.

On va revenir pour un instant à l'époque carolingienne ou la société est juridiquement inégalitaire : il y a des hommes libres, des esclaves, des nobles, des manants... etc  mais il n'y a aucun statut franc de la situation juridique de la femme.  Chez les nobles, la femme était l'égal de l'homme et avait droit à la culture... on l'a vu, dans notre petit spectacle à Carcassonne, et c’est vrai aussi que c’était plus marqué dans les seigneuries occitanes : la femme, par le mariage s'élève au rang de son mari, elle prend part à l'exercice du pouvoir et même elle doit le conseiller.  Dans la cour occitane les femmes sont émancipées, il faudra presque attendre notre époque pour revenir à ce statut. Mais bien sûr on peut toujours se poser des questions : la femme vraiment émancipée ?  En a-t-elle conscience ?

On peut dire que non, surtout par le fait que la situation est très précaire : la première préoccupation des femmes et la même que celle des hommes : survivre. On va le voir à travers l'histoire de Dhuoda.  Certains connaissent Dhuoda, je vous l'avais déjà présentée. Fille de la noblesse, peut-être la fille du duc de Gascogne, elle épouse Bernard duc de Septimanie à Aix la Chapelle le 29 juin 824.  Deux ans après elle met au monde un fils, nommé Guillaume, comme son grand-père (Guillaume d’Orange, St Guilhem fondateur de St Guilhem le désert…).

Le royaume est bouleversé par la succession de Louis le Pieux et Dhuoda suit  son mari dans ses nombreux déplacements…  Jeune fille elle avait choisi une des deux voies possibles pour la femme médiévale (le mariage ou le couvent) : le couvent.  Les filles qui étaient destinées à prendre pour époux Dieu avaient droit à la culture.  Elles entraient jeunes dans un couvent et y recevaient une éducation parfaite : latin, littérature, philosophie, mathématiques.

Sûrement pour des raisons « d’état » pour ne pas dire des arrangements entre les familles elle s’est mariée, contre son gré. Son mari, comme de nombreux hommes de l’époque, est plus préoccupé de rendre « l’ost » (service militaire, 40 ou 60 jours), plutôt que de s’occuper de sa jeune épouse.  De plus il est chambellan à la cour de Louis le Pieux et est chargé de l’éducation du prince.  Il ne vit pas avec Dhuoda qu’il a laissé à Uzès.

Dhuoda est donc assignée à vivre seule à Uzès dans une « Villae » à la tête d’une « maisnie » et fait face aux désordres du temps.  Elle se nourrit de lectures, se passionne pour les enluminures et les parchemins.Un intendant s’occupe de la « tenure » mais tous les hommes sont à la guerre.  Ce sont donc les femmes qui travaillent au grand domaine rural… qui devient vite un grand havre de paix où les saisons s’écoulent au rythme des travaux des champs : il lui faut envoyer de l’argent à son mari pour tenir son armée et son rang à la cour de Louis le Pieux.

Les gestes et faits de Dhuoda sont sous la surveillance de l’Evêque. L’Evêque d’Uzès qui prêche comme tous les religieux la pauvreté et la charité vit dans le luxe  et s’il prêche  la chasteté, il vit dans la luxure auprès de plusieurs femmes qu’il oblige à se soumettre. Ce sont les femmes seules, comme Dhuoda qui sont ses proies. Dhuoda va résister.  Avec les femmes de la maison et son intendant elle va se protéger le plus longtemps possible des assauts de l’évêque, des bandes passantes de brigands et aussi des attaques des Sarrasins qui s’avancent de plus en plus dans les terres.Elle élève et éduque son fils Guillaume[1] jusqu’à l’âge de 15 ans. A l’âge de 15 ans il rejoint la cour de Louis le Pieux. Dhuoda met au monde un autre fils en 841.  Cet enfant lui est enlevé dès sa naissance par l’intermédiaire de l’Evêque, il est pris en otage par Charles le Chauve.  Elle n’a pas eu le temps de le baptiser.  Elle ne connaît pas son prénom[2]. D’après quelques historiens il apparaîtrait qu’elle aurait eu aussi une fille Roselinde[3].

La « tenure » s’organise sous la ferme gestion de Dhuoda qui vit simplement, se préoccupe plus de la vie des habitants de sa « maisnie » que de posséder de beaux habits ou bijoux. D’ailleurs elle ne reçoit personne et ne fait pas des séjours à la cour comme sa condition de « princesse » pourrait l’y autoriser. Elle gère les récoltes de blés, d’olives.  Distribue les parts de chaque famille « libérée », celle des « esclaves ».Quelquefois des fêtes sont organisées, elle fait cuire des petits pains qu’elle distribue aux habitants du diocèse d’Uzès…

Elle obtient l’autorisation d’avoir, chaque jour, la visite d’un jeune clerc. Ce moine l’aide à écrire, ce qui aujourd’hui est resté dans l’histoire : le « Liber Manualis » ou  « Manuel pour mon fils ». C’est un traité destiné à l’éducation de son fils Guillaume. Dhuoda, par le bonheur d’écrire ce traité,  bel héritage littéraire, se hisse au rang des écrivains de son époque, époque comme de nombreuses femmes, dont elle a été complètement oubliée. 

 

 

MARIE MAURON

Liste de ses œuvres : Mount Peacock, trad. F. L. Lucas, Université de Cambridge, 1934. Mont Paon 1937, Denoë, rééd. 1979, Marcel Jullian. Le Quartier Mortisson, 1941, éd. Plon, rééd. 1967. La Chèvre, ce caprice vivant 1947, Albin Michel. Le Taureau, ce dieu qui combat, 1949, Albin Michel. La Maison des Passants, 1949, éd. Plon. Charloun Rieu, 1949, Balancier. La Mer qui guérit, 1957, Seuil. La Transhumance 1959, Amiot Dumont, rééd. 1959. Le Royaume errant, 1953, éd. Plon. édition allemande: Aqué Menoun!, traduction: Rolf Römer, 1953, Speer-Verlag Zürich. A l'Ombre soleilleuse, 1953. En parcourant la Provence 1954, éd. Flots Bleus. Le beau voyage au Pays d'Arles, 1956, éd. Granier. Vers Saint Jacques de Compostelle, 1957, rééd. 1974. L'Ex-Voto de Noêl, 1961, rééd. 1999. La Provence au coin du feu, 1962, Académie Perrin. Mes grandes heures de Provence 1962, Académie Perrin, rééd. 1974. Éternelle Magie, 1964, Académie Perrin. Les Cat-Fert, composé de deux livres (Le soir finit bien par tomber et Lisa de Roquemale), 1964, éd. Robert Laffont. Hommes et cités de Provence, 1965, éd. du Sud. L'heure du soleil. Dictons d'Oc et Proverbes de Provence,1965, Robert Morel Editeur. Les cas de conscience de l'Instituteur, 1966, Académie Perrin. Château de carte 1966, Seghers. Ce temps qui passe, le voir passer, 1967, Sodi (Bruxelles) Les Lampions des fêtes 1967, Académie Perrin. La Marseillaise, 1968, Académie Perrin. Suite provençale, 1969, éd. Plon. Quand la Provence nous est contée par ses plus grands poètes et chroniqueurs, 1976, éd. Perrin. Lorsque la vie était la vie, 1971, éd. Rollet. Signes de la pierre, photos: Zoé Binswanger, 1972, Horizons de France. La Provence qu'on assassine, 1972, Julliard. Les Arsacs, 1972, éd. Plon. La diaboliques Aragne, 1972. Ombre et Lumière sur la Provence", 1974, éd. Plon. Il était fête chaque jour, 1974, Rouge et Or. Il pleut, il fait soleil, le Diable bat sa femme, 1975, éd. Plon. Quand la Provence nous est contée, 1975, Académie Perrin. Ce que j'appelle vivre, 1976, Académie Perrin. Le Monde des Santons, 1976, Académie Perrin. Le Vieux de la montagne 1977, éd. Plon. L'ombre portée, 1977, presses de Marabout - Belgique. Un Noël solitaire et peuplé, 1978, éd. Plon. Cette Camargue que nous aimons, 1980, édi. Pierre Belfond Ces Lointains si présents, 1980, éd. Plon. Légendes du triangle sacré, 1980. La Pierre et l'Homme, oeuvre posthume,1988, éd. Mas d'Angirany.

Née le 5 avril 1896 à St Remy de Provence, Marie Antoinette Roumanille connue sous le nom de Marie Mauron est morte le 31 octobre 1986 à l’âge de 90 ans dans son Mas d’Angirany. C’est une écrivaine et poète française. Elle était l’épouse de Charles Mauron, traducteur d’auteurs Anglais et critique littéraire.

Voici, tracé en quelques lignes les œuvres  de Marie Mauron… mais si vous le permettez je vais vous la faire découvrir à travers un texte trouvé dans la « Provence Buissonnière » de Gabriel  Domenech édité chez Albin Michel…..

Marie Mauron, où l’on apprend la manière de ne jamais payer le loyer, la façon de gagner un procès quand on a tort, le moyen de vendre une récolte sans semer, et l’art de faire éditer des contes provençaux à paris grâce à la rivalité entre Oxford et Cambridge.

« Etonnante Marie Mauron, si pleinement en harmonie avec le site dans lequel elle vit, parce qu’elle est originaire, et que tous les siens en sont originaires, depuis des siècles des siècles…

Elle m’attendait sur la terrasse de son mas, à Saint-Rémy, et, dès ma descente en voiture, ses deux chiens, Lugano et Patalu, m’ont pris en charge, huissiers stylés pour me conduire jusqu’à elle. On pourrait croire qu’ils sont là pour me garder ! Mais ils ont tellement l’habitude de voir venir des amis qu’ils font des fêtes à tous les visiteurs ! La vérité, c’est qu’un chien est toujours à l’image de son maître. Ce ne sont pas les chiens qui rédigent les pancartes « Chien méchant ». S’ils pouvaient parler, les pauvres, ils protesteraient sûrement contre l’hypocrisie de leurs propriétaires, méchants eux-mêmes, ou, plus souvent encore, menteurs. Au mas d’Angirany, il n’y a pas de pancarte. Et les chiens sont si heureux de vous voir arriver que l’accueil de la maîtresse de maison ne fait aucun doute : vous êtes le bienvenu.

Marie Mauron m’a tout de suite mis à l’aise. Du moment que j’aime la Provence, sa demeure est la mienne. Une seule inquiétude : que peut-elle faire pour me faire plaisir ? Ah, madame ! C’est bien difficile à dire…  Car je n’ai en réalité, rien à vous demander. Sinon le privilège de bavarder quelques heures avec vous…  De tout et de rien. Avouez que c’est une fichue entrée en matière, surtout en arrivant chez une dame qui a sans doute bien autre chose à faire que de perdre son temps avec le premier venu.

Mais Marie Mauron appartient à cette race sage, forgée sous le soleil et l’azur, dans l’odeur du thym et du romarin, à l’ombre des Alpilles qui ont vu toutes les civilisations se faire et se défaire depuis que la mer a découvert la terre.Une race pour laquelle rien de ce qui est contact humain ne saurait jamais être considéré comme du temps perdu. Et tandis que là-bas, à quelques kilomètres au nord et au sud, le monde continue sa course folle vers on ne sait trop quel paradis artificiel, à moins que ce ne soit tout simplement à sa perte, nous nous sommes enfermés dans son île de rêve, et elle a parlé. Elle a parlé, et je me suis presque contenté de l’écouter….Car cette femme est une merveilleuse conteuse d’histoires vraies.Je le savais déjà, pour  l’avoir entendue à la radio ou à la télévision. Seulement le cadre, alors, n’y était pas. Il y manquait les oliviers, les herbes sauvages, le genêt, la marguerite et le coquelicot, les murs de pierre chaude, les grandes jarres fleuries, la sangria dans les verres, la lumière de Van Gogh, la poussière de soleil, le fantastique bourdonnement du silence, les chiens allongés à nos pieds, le cheminement d’un perce-oreille sur la table… et les fantômes des bâtisseurs de Glanum.Tandis qu’aujourd’hui, j’avais tout cela autour de moi.

« - Savez vous que je suis née Roumanille, ce qui est probablement le plus vieux nom de Saint-Rémy ? Si vous allez consulter les listes électorales, vous en trouverez une flopée… Rien qu’à  l’école communale, de mon temps, nous étions au moins dix filles Roumanille. Dont plusieurs s’appelaient Marie, comme moi. Alors pour nous distinguer les uns des autres, on nous donnait des sobriquets. Il y avait des Roumanille Catcha, des Roumanille Muoù, des Roumanille Pregno… La famille de Joseph Roumanille, le poète, c’était les Piho. Je n’ai jamais su ce que cela voulait dire. Certainement un mot qui s’est déformé à l’usage. Nous, nous étions les Roumanille Beausoleil. Je ne sais pas pourquoi. Et je suis la dernière… Le plus curieux, c’est que tous ces Roumanille, à l’origine, n’étaient pas parents. Quand ils le sont devenus, c’est par la suite, en se mariant les uns avec les autres. Au début, en effet, il y avait ici un seigneur de Romanin, qui vivait sur le plateau où est installé, maintenant, le centre de vol à voile. Et ce seigneur n’était pas très riche, vous vous en doutez ! Alors, quand il lui a fallu équiper son armée pour partir à la guerre, il n’a trouvé qu’un moyen pour se faire un peu d’argent : c’était de vendre leur liberté à ses serfs, et un bout de terre à chacun… Pensez qu’ils se sont « esquiché » le tempérament, tous ces braves gens, pour s’offrir ce luxe.Du coup, ils ont été nombreux à devenir propriétaires d’un lopin, et comme le coin s’appelait Romanii, ils se sont appelés, Pierre, Jacques ou Paul de Romanii…

ce qui est devenu avec notre accent Roumanille !

Et si nous sommes encore aussi nombreux dans le pays, c’est que les premiers Roumanille ont tant peiné, souffert et transpiré pour gagner leur terre, que toute leur descendance en est restée marquée… La preuve, c’est qu’ils ne se sont pratiquement jamais exilés. Il y en a bien un, une fois, qui est parti s’installer à Châteaurenard.

Mais il n’a pas tardé à revenir : « De Ségur, disait-il, Castèù-Renard est un beù païs ! Mai que voulés, est trop lun ! (C’est vrai, Châteaurenard est un beau pays, que voulez-vous, c’est trop loin). A dix kilomètres de St Rémy environ ».

Elle sourit en le précisant, et pourtant, elle se souvient qu’elle-même…

«-  Notre caractère casanier était d’ailleurs tel qu’on se moquait de nous en bien des endroits. Par exemple, quand j’étais à l’école normale d’Aix en Provence, à je ne sais plus quelle occasion, une fois, je me suis démenée comme un beau diable pour glorifier la grève de l’internationale socialiste. Déjà la contestation. Et j’entends la directrice énoncer sur un ton narquois, au lieu de me « coller » : -« Voici Mlle Roumanille qui prêche l’anarchie et la suppression des frontières, elle qui n’est jamais sortie de l’arrondissement d’Arles ». Je devins rouge comme une pivoine, puis, comme si il y avait de quoi s’en vanter : « Même pas ! Dis-je.  Je ne suis jamais sortie du canton de Saint-Rémy, Madame ! » et, le pire c’est que c’était rigoureusement vrai ».

Elle s’excuse de me raconter des choses qu’elle craint de me voir trouver stupides.

Peut-être l’histoire de Saint-Rémy m’intéresse-t-elle davantage que ses souvenirs de jeune fille ignorante. Mais je m’empresse de la détromper. L’histoire de Saint-Rémy, les guides touristiques en sont remplis. Tandis que son histoire à elle…

« - Oui, reprend-elle, les Roumanille étaient travailleurs et casaniers. Pourtant, si du côté de mon père j’avais une tendance acharnée au travail, sérieuse, et solidement attachée au sol natal, c’est surtout le côté de ma mère qui m’enchante… Ceux là étaient extraordinaires, et mon regret est de ne pas avoir pu les connaître tous depuis toujours. Ils s’appelaient Deville, et ils étaient carriers. Vous savez que les carrières, dans la région des Baux, étaient exploitées depuis les Romains et que cette exploitation a duré jusqu’à la guerre de 1914. Mon grand-père et mes grands-oncles, don, allaient tous les jours travailler à huit kilomètres d’ici, en passant par le col de Sarragan. Et parce qu’ils ne cessaient d’en parler comme d’un exploit, Sarragan était devenu leur Sobriquet. Ce qu’ils oubliaient de dire, cependant, c’est que, chaque matin en montant à la carrière, ils posaient des pièges, et qu’ils rechargeaient leurs prises le soir au retour…faisant ensuite loter le gibier dans les cafés du village. Mais… leur vraie raison de vivre, c’était de raconter des histoires ! ils étaient six ou sept, dans la famille, et on les invitait aux baptêmes, aux noces, aux fêtes, pour distraire les invités. Depuis quand cela durait-il, je l’ignore, et c’est à travers mon seul grand-père que je les imagine tous, car toute ma jeunesse s’est passée  à entendre parler d’eux… Et comme ils présentaient toujours leurs contes comme des faits authentiques leur étant arrivés, je n’étais pas loin de les considérer comme des sortes de demi-dieux… Jusqu’au jour où je suis allée à l’école supérieure. Alors en lisant les récits tirés de l’Iliade, de Rabelais ou du Roman de Renart, j’ai retrouvé la source de la plupart des histoires de mon grand-père ! Bien sûr ce n’était pas tout à fait la même chose. Elles étaient adaptées, enjolivées, provençialisées.  Mais l’origine ne faisait aucun doute. Je suppose qu’il y a bien longtemps, un membre de la famille avait dû apprendre à lire, peut-être chez le curé, et qu’il avait acheté, par la suite, un de ces petits livres que les colporteurs vendaient dans les campagnes, autrefois, pour un sou ou deux. Et puis, il avait raconté les exploits d’Ulysse et de Panurge comme des exploits personnels ou accomplis par des gens connus de lui seul… et la famille, de génération en génération,  enrichissait le répertoire ». C’est tout ce qu’elle pouvait enrichir, la famille maternelle de Marie Mauron.Parce que le travail de carrier était pénible et rapportait peu.Si peu que pour joindre les deux bouts, et vivre heureux malgré tout, il fallait se débrouiller.

« - Dans ce mas, par exemple, on ne payait pas le loyer. Le propriétaire avait beau venir relancer mon grand-père, rien à faire ! Sans doute considérait-il que le paiement d’un loyer était un mauvais principe ! « Voyons, lui disait le propriétaire, qui était un brave homme, tu vends mes olives pour faire de l’huile, tu vends mes amandes pour faire du nougat, tu vends le miel de mes ruches… Et à moi, tu ne donnes jamais rien. Tu trouves ça normal ? ». Et mon grand-père buté, de répondre : « Normal ? Pardi que c’est normal… puisque moi je suis pauvre, et que vous, vous êtes riches ! ». Tant et si bien que le propriétaire finit par se décider à le poursuivre. Le jour du procès, pourtant avant de partir pour le tribunal, il tenta une dernière démarche « Alors, Sarragan ! Toujours pas décidé à payer ? ». Mon grand-père haussa les épaules : « Comment voulez-vous que je fasse ? Si j’avais quatre sous devant moi, je me serais plutôt payé un pantalon pour venir me défendre devant le juge, allez ! Que je n’ose même pas me présenter, gros malheureux que je suis ! ». Il faut vous dire que c’était aussi un merveilleux comédien. Le propriétaire mordit à l’hameçon : « Ce n’est que ça ? Dit-il, il sera pas dit que je n’aurais rien fait pour t’aider. Je vais t’en prêter un, moi, de pantalon. Et tu vas venir avec moi au tribunal ! ». Aussitôt dit que fait, naturellement. Et une fois devant le juge, voici que le propriétaire se met à raconter ses malheurs : « il a mes olives, mes amandes, mon miel ! Il vend tout. Et il ne veut même pas me payer mon loyer… » Alors mon grand-père de s’écrier : « Si vous l’écoutez, monsieur le Juge, il est même capable de dire que le pantalon que je porte est à lui   ! ». Pensez que le propriétaire bondit : « Pardi qu’il est à moi. Je te l’ai prêté pour venir ici. » Et mon grand-père d’éclater de rire : « Qu’est-ce-que je vous disais, monsieur le Juge ? ». C’est ainsi qu’il fut relaxé de toutes poursuites.  

Et c’est pour cela que mon mas s’appelle le mas d’Angirany. On se demande parfois d’où vient le nom. C’est facile ! C’est le nom de ce pauvre homme de propriétaire. Quand j’ai acheté, mon père ne comprenait pas que je baptise l’endroit de cette façon. On lui devait pourtant bien cet hommage posthume, à M. Angirany, après toutes les misères que mon grand-père maternel lui avait faites de son vivant ! ».« - La cheminée est dallée d’une lourde et large pierre, souvenir du café Moscou – devenu la Banque Chaix » où le grand-père Deville-Sarragan a tant raconté d’histoire.

Un jour qu’il traversait le village avec la bêche sur l’épaule et un sac de haricots sous le bras, quelques notables réunis devant le café l’appellent et l’invitent à s’asseoir avec eux. « Hé là, fait-il, c’est que j’ai mes haricots à semer, brave gens !Bah disent les autres, si ta récolte est bonne, combien penses-tu en tirer de tes haricots ? » Il réfléchit un moment, puis : « Ma foi ! Dans les trois cents francs… »Les notables se consultent du regard : « Bon ! Voilà tes trois cents francs. Et maintenant raconte-nous des histoires ! » Mon grand-père ne se le fait pas dire deux fois, et ne manque pas non plus de réclamer à boire chaque fois qu’il se sent la bouche sèche, c’est-à-dire souvent… C’est ce jour-là paraît-il même, qu’on l’a retrouvé assis au bord du trottoir, répondant à ceux qui lui demandaient ce qu’il faisait :

« tout tourne, les amis ! J’attends la maison. Elle finira bien par passer… ». En tout cas, en rentrant, il jeta le sac de haricots sur la table, et dit à ma grand-mère :  Té, fait la soupe avec… » Mais elle, aussitôt : « comment, la soupe ?  C’est pour semer, non ? Alors va les semer, sinon qu’est-ce qu’on mangera l’année prochaine ? ». Il refusa énergiquement : « Rien à faire ! Du moment qu’on m’a payé la récolte, j’ai pas le droit ! Grommelait-il. Je  suis un honnête homme moi ! ». Il aurait fallu tout un livre pour rapporter ce que Marie Mauron m’a confié durant les trop courtes heures passées en sa compagnie.

Seulement des livres, elle en écrit elle-même, et il est difficile, dès lors, d’en savoir davantage. Je lui ai pourtant demandé comment elle s’était mise à écrire.

«  - Déjà lorsque j’étais toute gamine. Je me souviens parfaitement de mes trois ans. Je me racontais des histoires qui duraient, qui duraient… Et je me les racontais en provençal, naturellement, puisque c’était la seule langue qu’on parlait. Plus tard, à l’école, j’ai d’ailleurs été punie pour cela. Mais j’ai tenu bon, et j’ai gardé ma langue… Pour écrire, malheureusement, c’était plus difficile. D’abord parce que je n’avais pas appris. Ensuite parce que les livres en provençal, presque personne ne les comprend.

Alors ma foi, je garde mes histoires pour moi ! Je suis donc devenue institutrice, je me suis  mariée, et je vivais comme tout le monde jusqu’au jour où mon mari, Charles Mauron, est devenu aveugle. Il  nous a fallu quitter Marseille où il enseignait, et nous avons voulu revenir à Saint-Rémy.

Comme il n’y avait pas de poste d’institutrice vacant, on m’a nommée à Mas-Blanc, petit village de 120 habitants situé à 6 km d’ici. Et comme l’institutrice était, traditionnellement, secrétaire de marie, je suis devenue secrétaire de mairie… C’est ainsi que j’ai connu les plus belles histoires vraies de ce pays. « Oh ! Il n’y avait pas grand-chose à faire, bien sûr !

Mais on voyait défiler tout le monde, avec les mille et un côtés amusants ou émouvants de la vie d’un petit village…

L’enregistrement d’une naissance, par exemple ! Le père ne venait pas le jour même, il s’en fallait. « Bon ! Disais-je quand il s’amenait enfin, quel jour est-il né votre garçon ? – Attendez ! Il est né… il est né. Je crois bien que c’était lundi… ou peut-être mardi ! C’est facile, c’est le jour où j’avais l’eau… Ce doit être mardi ! Et non intervenait le maire, Mardi, c’était moi qui avais l’eau. Ca pouvait pas être toi. – Ah faisait le père, déçu, alors c’était pas mardi ! ». Finalement on se mettait d’accord pour dire que le gosse était né le lendemain du jour où le voisin avait arrosé son pré. Et tout à l’avenant !

« - Ces histoire, je les racontais à Charles, pour le distraire. Et quand ses amis anglais venaient chez nous, ils s’en délectaient. Tellement qu’ils  n’oubliaient jamais, dans leurs lettres, de me demander des nouvelles de « mes villageois », comme ils les appelaient. Cette correspondance a duré quatre ans, c’est-à-dire tout le temps que je suis resté au Mas Blanc. Puis un jour ils m’ont dit : « Avec toutes tes lettres, pourquoi  ne ferais-tu pas un livre ? Ce serait amusant ». L’idée m’a paru bonne. J’ai donc réuni le tout en volume… et je le leur ai adressé. Au bout de quelques temps un professeur de Cambridge que nous connaissions m’écrit : « j’ai traduit votre livre en anglais. Et les presses universitaires de Cambridge ont décidé de l’éditer. Êtes-vous d’accord ? »  Pardi que j’étais d’accord. Bien que ce soit assez peu orthodoxe de faire éditer un livre sur la Provence… en Angleterre ! Je me vois encore en train de lire les épreuves avec mon mari « l’anglais prononcé avec l’accent provençal, je ne vous dis que ca ! ».Et riant de bon cœur… C’est André Gide qui s’est offert le premier à me faire éditer en français. Il a porté mon manuscrit chez Gallimard qui lui a dit : « ce ne serait pas mauvais. Mais il faut en faire un roman ».  –« Un Roman ? Comment voulez-vous que je fasse un roman avec les histoires d’un village de 120 habitants, disais-je, je ne peux tout de même pas faire marier la secrétaire de mairie avec le garde-champêtre ?  Gallimard, dans ces conditions n’en a pas voulu. Grasset non plus. Ni les autres. Et Maurois, Vildrac et tous les écrivains français qui venaient chez nous disaient la même chose : « il faudrait que ce soit un roman ! ».

Les années passèrent. Jusqu’au jour ou l’ami de Cambridge qui m’avait fait éditer en anglais rencontrait un collège d’Oxford « Tiens lui dit-il, j’ai là un livre d’une Provençale traduit dans notre langue. Mais les Français ne peuvent pas le lire parce que personne, là-bas, n’a    voulu le publier. Alors qi vous aviez un peu d’humour –ce qui vous manque cruellement à Oxford, je le crains-, c’est vous qui le feriez éditer à Paris ».  –Et l’invraisemblable est arrivé. Oxford a marché. Ils sont allés chez Denoël qui avait refusé mon manuscrit comme tout le monde, et ils lui ont proposé de publier mon livre à leurs frais. Je l’avais titré « Mont-Paon » et ça c’est vendu. Tant et si bien que Denoël m’a demandé de continuer à écrire et m’a pris tout de suite « Le Quartier Mortisson » qui a raté le Femina  d’une voix.

La guerre, malheureusement, est intervenue, et tout a été changé. »

Je ne sais pas ce que vous en penserez, mais moi j’ai trouvé cette histoire merveilleuse : une carrière d’écrivain provençal  lancée d’abord en Angleterre puis imposée en France par les Universités d’Oxford et de Cambridge, ça ne doit pas arriver tous les jours. Et, ne serait-ce que pour cela, beaucoup de choses doivent être pardonnées à nos voisins d’Outre-manche.

 



[1] - Guillaume de Septimanie – né le 29 novembre 826 a été comte d’Agen. Il est mort comme son père : décapité en 850 sur ordre de Charles le Chauve pour n’avoir pas respecté sa promesse en tentant de s’emparer des marches d’Espagne et de Barcelone. C’est pour lui que Dhuoda a rédigé  le « Manuel pour mon fils », premier traité d’éducation connu.

[2] - elle apprendra bien plus tard qu’il se prénomme Bernard, comme son père. Il serait né le 22 mars 841, devenu Bernard Plantevelue, comte d’Auvergne et mort entre le 20 juin 885 et août 886.

[3] - Roselinde qui aurait épousé le comte Vulgrin 1er d’Angoulème. Elle aurait eu deux fils : Alduin ou Hilduin, comte d’Angoulème et Guillaume, comte de Périgord et une fille Sénégonde.

 

 
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