Narrow screen resolution Wide screen resolution green color default color orange color
LES JUIFS D'ARLES Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
23.02.2012 - Une autre histoire !

LES JUIFS D’ARLES

 

Sources :   Encyclopédie Larousse  -  Molinier, conférence sur les juifs d’Arles dans le cadre des conférences de l’Académie d’Arles, 20/01/1999  -    Stouff, Louis, Arles Angevine, in Arles, Histoire, Territoires et Cultures, Imprimerie Nationale, 2008


 Janice Lert

La présence de juifs à Arles est ancienne.  Le juif fait partie d’un peuple errant et ils assuraient des relations commerciales régulières entre l’Orient et les bords de la Méditerranée, y compris Arles.  La première mention de juifs à Arles date du 5e s. mais une stèle hébraïque provenant d’Orgon pourrait être beaucoup plus ancienne.  Arles au 5e et 6e s. étaient une ville prospère qui devait attirer des juifs commerçants.

On sait que les juifs ont assistés nombreux aux obsèques de l’évêque Hilaire en 449.  Par contre sous l’évêque Césaire les juifs furent rendus responsables d’un plan de reddition de la ville au moment d’un siège et furent chassés.  L’idée de juifs comme « boucs émissaires » est donc très ancienne.

A la fin du XIIe s. on a signalé 200 chefs de famille juifs à Arles : en 1144 tous les juifs d’Arles furent cédés par Conrad à l’église d’Arles.  L’archévêque aura donc juridiction sur les juifs et l’église leur doit protection.  Un exemple : en 1178 les juifs devaient à la ville d’Arles une corvée de travail avec 100 bourriques pour l’entretien du Pont de Crau.  Après intervention de l’archévêque la corvée fut remplacée par le paiement d’une somme de 50 sous, puis 20 sous chaque année pour l’entretien du pont.

En 1215 la communauté juive fut organisée sous l’archévêque Michel de Mouriès. La communauté était placée sous l’autorité de l’archévêque. Les juifs doivent verser une redevance (un impôt) en cire, poivre et lamproies à l’archévêque la veille des Rameaux.    En dehors de ces « taxes » ils devaient aussi une corvée de réparation du pont de bateau quand il se rompait…  La juiverie se trouvait près du Rhône entre les Thermes de Constantin et la paroisse St. Martin du Méjan.  C’est un quartier de marchands qui profitent de la proximité du fleuve pour le transport des marchandises.

 

Depuis le milieu du XIIIe s. les juifs se trouvent également sous l’autorité des comtes de Provence.  Malgré ces différentes tutelles, la communauté a toujours eu sa propre organisation.  Elle a ses propres magistrats : 4 bayles règlent la vie de la communauté qui se réunit en conseil où des femmes sont invitées.  Les bayles sont des collecteurs d’impôts mais aussi des juges qui appliquent la loi hébraïque.  Ils assurent les relations de la communauté avec l’extérieur.  La communauté possède une synagogue et une école.  Elle a ses propres fourches patibulaires (d’abord à Trinquetaille, puis sur la route de Raphèle) et ses propres cimetières (du 12e au 16e s. Montjuif au quartier Griffeuille dans des terres appartenant au seigneur de Lambesc).  Elle a ses propres aumônes ou lieux de charité.  Les juifs exigent que leurs traditions soient respectées par les chrétiens et notamment le sabbat (ne pas travailler le samedi) et les jours fériés juifs.

 

La communauté juive d’Arles était sans doute la plus importante au début du XIVe s. au moment où la ville a accueilli des juifs expulsés du Languedoc.  Les juifs d’Arles sont des Sefarades, juifs qui sont arrivés dans la région après avoir été expulsés d’Espagne, connus comme des « intellectuels ». Cette population déclinera rapidement par la suite : 80 foyers vers 1400 ; 60 vers 1440 dont seulement 40 sont propriétaires.   Le cimetière Montjuif sera abandonné et remplacé par un cimetière à Moulès en Crau, puis au Plan-du-Bourg (côté sud de la ville).  Ce cimetière est mentionné mal entretenu et envahi par les eaux du Rhône en 1476.

La place des juifs était importante dans les métiers de la santé.  Au 15e s. on estime le nombre de médecins dans la ville entre 2 et 4.  Parmi ceux-ci, il y en a souvent plus de juifs que de chrétiens.  Le métier de médecin se distingue de celui de « chirurgien-barbier ».  Les médecins sont étrangers de la ville (les chrétiens viennent souvent de Montpellier où se trouve la faculté de médecine).  On ne sait pas comment étaient formés les médecins juifs, mais on sait qu’ils possèdent des bibliothèques.  Maître Jean Nicolay, juif converti, possédait 35 livres.

En ce qui concerne le commerce, les juifs jouent un rôle important comme fripiers (marchand de vêtements usagers).  Ceux-ci tiennent un grand rôle dans la vie des arlésiens.  Les femmes font appel à des couturières juives qui habitent et exercent dans la rue de la Juiverie (actuelle rue du Dr. Fanton).  On connaît un « gipponier » juif : le gippon était un vêtement masculin ajusté et qui descendait jusqu’aux hanches (genre de tunique).  Ces boutiquiers faisaient partie d’une population de petits gens dont les revenus étaient d’entre 50 et 100 florins par an, alors qu’un médecin pouvait gagner plus de 200 florins par an.

Les juifs n’étaient pas des propriétaires terriens : ils se consacraient surtout à une activité commerciale.  Mais certaines maisons de la Juiverie sont évaluées à un niveau très élevé, l’estimation moyenne des maisons de ce quartier est le plus élevé de tous les quartiers d’Arles : 64 florins (comparer au quartier du Bourg Neuf où la valeur moyenne est de 22 florins).  Certains juifs pourraient être aussi bien logés que des nobles. 

En ce concerne l’endettement et les prêts, les juifs passent les trois quarts des actes de prêt d’argent, et prêtent les trois quarts des sommes.  Les prêts consentis par les juifs sont comparables à ceux consentis par les chrétiens -- ce sont surtout de petites sommes dépassant rarement 20 florins – et pour de courtes périodes allant d’un mois à un maximum d’un an.  Ce sont des prêts de « dépannage » pendant des moments difficiles.  Entre 1432 et 1441, 117 chefs de famille prêtent de l’argent ou du grain : 96 chrétiens et 21 juifs.  Les juifs représentent 45% des prêts alors qu’ils ne représentent que 7% de la population.  Dans la rue de la Juiverie entre 1436 et 1440 on a repéré 43 prêteurs d’argent dont 17 qui ne sont mentionnés qu’une seule fois.  Dans la communauté juive il y a des courtiers, des maçons, des porte-faix, qui ne sont jamais mentionnés comme prêteurs.  Néanmoins il y a aussi des juifs qui prêtent beaucoup : ce sont les plus gros propriétaires.  Le plus gros prêteur, Isaac Nathan, est « l’intellectuel » de la communauté (il est médecin).  Les femmes juives jouent un rôle important dans l’activité de prêt, alors que l’activité des chrétiennes au même moment est pratiquement nulle.  Les juifs n’empruntent pas.  La clientèle est presque exclusivement chrétienne.  Environ deux tiers des juifs sont prêteurs.

Il y a une séparation politique, religieuse et géographique entre les juifs et les chrétiens.  Le quartier juif comprend la grande rue de la Juiverie et la petite rue de la Juiverie.  La synagogue est située au milieu.  En 1427 il y a 58 maisons dans ses rues.  En plus quelques juifs habitent dans des maisons appartenant au couvent des Frères Prêcheurs (Dominicains) situé au cœur de leur quartier.  Certains juifs possèdent des parcelles de terre, mais ce sont uniquement des vignes et tous situés dans un même lieu (le Conhet dels jusieux).

Les rapports sexuels entre juifs et chrétiens étaient interdits.  La découpe et vente de la viande par un membre d’une des deux religions dans le quartier de l’autre est interdite.  Le vin et le pain des juifs sont interdits aux chrétiens.  L’exercice des offices publics est interdit aux juifs.  En 1338 un édit interdit à un chrétien de consulter un médecin juif. (Cet interdit est très difficile à appliquer car il n’y a pas assez de médecins et chirurgiens chrétiens.)  Les juifs portent une rouelle sur la poitrine, symbolisant cette séparation des deux communautés.

Malgré cela, les juifs sont indispensables pour tous les domaines des activités chrétiennes, sauf l’agriculture.  Ils sont courtiers, intermédiaires entre ceux qui désirent vendre leurs denrées (blé, laine, etc) et ceux qui veulent acheter ces mêmes denrées.  Ils exercent le métier de mesureur de blé.  On trouve tout ce que l’on veut dans les boutiques de la Juiverie.  Les juifs sont actifs dans les métiers du bâtiment.  Ils font les métiers d’éboueurs que les chrétiens ne veulent pas faire.  Ils sont les seuls relieurs de livres.  Ils tiennent parfois les livres de comptes des ecclésiastiques.

L’élite juif est constitué de médecins.  Il est en principe interdit à un chrétien d’avoir recours à un médecin juif, mais il n’y a pas assez de médecins chrétiens et on a recours aux juifs même dans l’entourage de l’archévêque : en 1424 Mosse de Roquemartine, juif, a soigné la famille de l’archévêque pendant toute l’année. 

Les rapports entre juifs et chrétiens sont d’abord cordiaux et, malgré les interdictions, certains juifs occupent des postes administratifs publics.  A bien des signes on voit que les relations entre les deux communautés sont étroites.  Néanmoins le fait que beaucoup de juifs soient des prêteurs d’argent va finir par tendre ces relations :

-                      Des chrétiens qui ne peuvent pas rembourser sont ruinés et accusent les juifs. 

-                      Et puis on se méfie des juifs : on va les accuser de tous les maux et notamment de la propagation de la peste. (En 1348 leur cimetière fut profané pour cette raison.)

-                      De 1359 à 1368 lors des pillages des « grandes compagnies » le cimetière juif fut encore profané, toujours par méfiance vis-à-vis des juifs.

-                      De nombreux juifs arlésiens ont des contacts étroits avec des juifs de Catalogne : quand les catalans deviennent les ennemis de la Provence (vers 1420) les juifs arlésiens sont aussi suspects.  La communauté juive s’affaiblit.

-                      Les religieux mendiants et ceux qui prêchent la croisade prennent les juifs pour cible.

Sous le roi René, les autorités de la ville vont essayer de protéger les juifs : ils ferment les portes de la ville en 1464 quand des travailleurs agricoles des Alpes menacent les juifs. A partir de 1480 les juifs reçoivent le droit de construire une clôture autour de leur quartier pour empêcher les débordements des moissonneurs saisonniers, auxquels se joignent certains du petit peuple arlésien.  

Les turbulences aboutissent à l’attaque du 7 juin 1484 menée par des ouvriers saisonniers et quelques arlésiens.  Le quartier juif est détruit ; les juifs s’enfuient ; certains sont noyés dans le Rhône ; d’autres gagnent par les toits le couvent des Frères Prêcheurs juste à côté.  Plus de 50 juifs se convertissent. 

L’expulsion définitive des juifs d’Arles est prononcée le 23 septembre 1493 et jusqu’à la fin de l’Ancien Régime il n’y aura, au moins théoriquement, plus de juifs à Arles.  La Provence est revenue au roi de France en 1483 et on en avait assez des plaintes contre les juifs.  L’emplacement de la synagogue est occupé aujourd’hui par la chapelle des Pénitents Bleus.

Certains des juifs de Provence se sont convertis et ont fondu dans la population (ex : la famille de Nostradamus).  D’autres sont partis en exil vers le Comtat Venaissin, la Savoie, l’Italie.  De ces pays frontaliers ils pourraient dans certains cas continuer à commercer avec la Provence, et notamment au moment des foires.  Personne ne voulait leur interdire l’accès aux foires car ils avaient de bons produits.  Ainsi les juifs ont continué à exercer leur religion contre vents et marées, parfois par fourberie, jusqu’à la Révolution où ils ont pu revenir en Provence.

Pendant la 2me guerre mondiale, la population juive de Provence a encore été décimée.  Aujourd’hui les juifs sont revenus, mais les juifs actuels sont des ashkénazes, venus à l’origine des pays de l’Europe de l’Est, et plus récemment d’Afrique du Nord.


 

 
< Précédent   Suivant >