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L'ETONNANT DESTIN DES BANATAIS Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
2.02.2012 - Histoire touchante !

L’étonnant destin des Banatais.

Les Jeudis de La Culturothèque

Le 2 février 2012                                                                                                                   


 

Le 20 octobre 2011 quelques membres de La Culturothèque ont eu le privilège de visites guidées dans des villages des Monts du Vaucluse, notamment à La Roque Sur Pernes.

La guide a évoqué l’histoire de ce village  dont les habitants étaient regroupés à l’intérieur de remparts : en majorités agriculteurs ils produisaient essentiellement pour leur consommation personnelle des olives, du blé et de la vigne et pour améliorer leurs revenus un peu de garance et de la soie.

A partir de 1860 le village subit petit à petit une baisse de son activité économique suite à de nombreux évènements qui surviennent à peu près à la même époque :

•    La garance, plante tinctoriale est remplacée par l’alizarine, synthèse chimique pour teindre les étoffes en rouge et l’importation de coton d’Amérique réduit la demande de matières colorantes.

•    Le phylloxéra, insecte originaire des Etats Unis fait sa première apparition à Pujaut et Roquemaure pour provoquer la grande crise du vignoble.

•    La pébrine , champignon qui empêche les « magnans » ou « vers à soie » d’enrouler les fibres de soie pour construire son cocon, décime tous les élevages.

•    La construction du canal de Carpentras permet l’irrigation des plaines plus facilement cultivables et une production plus intensive.

En conséquence, comme dans tous les villages perchés, La Roque Sur Pernes subit le départ des cultivateurs vers des terres plus hospitalières et la situation s’aggrave encore avec les pertes de la première guerre mondiale.

Les Roquérois étaient 383 en 1861, ils ne sont plus que 78 en 1950.

Notre guide nous raconte donc, qu’en 1950, le Maire de l’époque, Edouard Delebecque décide de repeupler le village en favorisant l’installation des Banatais.

Qui sont ces Banatais ?

La question est posée et notre guide nous donne quelques informations sur ces habitants du Banat.

A l’issue de cette visite, de nombreuses questions étaient encore posées et il a semblé bien intéressant de retracer l’histoire de ce peuple et pour cela il faut chercher dans l’histoire.

Pour ceux qu’on appelle « les français du Banat », il faut chercher  dans l’histoire de la Lorraine car pour 100 migrants, 80 sont lorrains, 10 luxembourgeois, 7 alsaciens et 3 bourguignons.

Sans aller dans les détails, on peut dire que les lorrains acceptent mal le traité (traité de Vienne 1738) qui rend la Lorraine à Stanislas Leszcsynski : être tantôt sujets du roi de France, tantôt sujets de l’Empire germanique. D’autant  que la France rend obligatoire l’enrôlement des lorrains dans les milices françaises en 1744 et la fiscalité devient plus rude que celle de l’ancien duché à cause des campagnes militaires. Stanislas va pourtant  peu à peu se faire apprécier de ses sujets : assistance publique, lutte contre la disette, instruction, progrès sanitaires….

Mais, quelques temps auparavant le Prince Eugène de Savoie, au service de l’impératrice d’Autriche et femme de François III ex duc de Lorraine avait débarrassé une nouvelle fois l’Autriche des Ottomans. En reconnaissance de ses loyaux services, François III lui avait attribué, en 1718, un territoire aux confins du Danube et de la rivière Timis. Ce territoire, grand comme la Belgique était appelé Banat.

Le prince Eugène de Savoie, toujours occupé à guerroyer au commandement d’armées,  avait confié la gestion du Banat au Comte Claude de Mercy originaire de Thionville en Lorraine pour repeupler ce territoire complètement désertique et marécageux.

Nommé gouverneur du Banat, Claude de Mercy, fait appel à des colons catholiques venant des pays limitrophes du Rhin: de nombreux conflits avaient entraînés  la famine et les hivers rigoureux, les épidémies, les  déprédations, les pillages, les malversations, le brigandage ravageaient l’Europe et l’espoir d’une vie meilleure poussent donc de nombreuses familles à trouver un lieu où ils pourraient travailler et vivre en paix.

Pour beaucoup c’est l’idée de se rallier au « Prince Eugène » et à un duché de Lorraine indépendant, qui poussent ces familles à s’installer au Banat. La promesse d’une terre fertile, d’une vie prospère, d’un petit pécule pour le voyage et la promesse d’une exonération d’impôt pendant 10 ans en a aussi sûrement motivé quelques uns.

De 1718 à la fin des années 1770 ce seraient  50 000 personnes qui ont pris la direction de l’Est de l’Europe. On a appelé cet exode le « Grand dérangement ». Ils partent pourtant  dans des conditions très précaires, à pied, à cheval ou en chariot des familles franchissent les frontières du royaume, souvent la nuit pour échapper aux soldats de Stanislas qui ne veut pas de cette émigration.  Ils font étape à Ulm, en Bavière (les célibataires s’y marient pour figurer une famille aux yeux de l’administration de l’empire austro-hongrois). Ensuite ils font escale à Vienne, en Autriche, où ils sont recensés, souvent par simple approximations phonétiques puis on leur remet un titre de propriété et enfin ils embarquent dans des barges plates qui voguent sur le Danube en direction du Banat.

Si le Banat devient une terre alluviale très fertile, ce n’était pas le cas lorsque ces émigrés arrivent : ils trouvent une terre complètement désolée. Avec leurs pelles et des vieux fusils les colons doivent commencer par chasser les ours et les loups. Ensuite ils labourent la terre pour y semer les graines offertes par les autorités de leur nouveau pays : une catastrophe, les graines n’arrivent pas à germer. La peste, le choléra, la famine, l’épuisement  vont décimer durement cette population pourtant recrutée pour leur solidité à la tâche. 90 % d’entre eux mourront en quelques mois.

Les colons français se sont fondus dans la population des exilés appelés « schwaben » ou « Souabes » qui désignait tout migrant germanique et par extension les populations issues des autres nations, mais tous ces Banatais ne se fondront pas dans la population autochtone: ils forment des communautés et se marient entre eux. Les filles qui fréquentent les Roumains ou les Yougoslaves sont mal vues.

C’est très difficile de trouver des renseignements exacts sur leurs origines, certains affirment que la plupart des colons sont venus en majorité de la Lorraine, de l’Alsace, de l’Autriche, de la Bavière de Franconia et du Palatinat mais peu du « Swabian ». On les aurait appelé « Banat Swabians » du fait que la majorité des immigrés ont été enregistrés et embarqués dans la ville d’Ulm en Swabie (Souabe).

Selon une des données de recensement en 1774, le Banat était constitué de  58.5 % de Roumains, 27 % de Serbes et de Grecs, 14.5 de « Souabes », 1 % de Hongrois et Bulgares et 0.1 % de Juifs.

Une poésie Banataise : « Bonjour Banat – je suis…. – que Dieu me sauve – je suis pauv’ – j’ai une case – j’ai une vache – je suis libre – sans cravache – Le Merci m’a dit – tu seras libre – Vive le Duc et ma famille ».

Toutes ces nouvelles populations sont catholiques et fondent plusieurs villages en exploitant les terres et les richesses minérales.

En 1779 le Banat est réuni au royaume de Hongrie et trois comitats (Torontàl, Temes, Krasso) son créés.

Malgré cette référence au Banat, en 1890, on ignore en grande majorité l’existence des Français du Banat. Mais il y avait quand même un certain intérêt des intellectuels concernant les « Souabes du Banat » qui comprennent que malgré une forte germanisation et malgré une assimilation par la langue allemande pendant deux siècles ils ont réussi à garder une identité culturelle.

En 1918 une armée française a occupé le Banat et l’administration française donne le feu vert au Président des Français de Banat (Stephan Frecot)  de demander aux autorités de Timisoara de faire du Banat un département français, d’autres populations demandent un état indépendant du Banat ( !). L’intervention de Stephan Frecot se soldera par un échec, d’autant que Poincaré et Clémenceau ne voulaient rien savoir de ce département français de Banat. Mais en fait, après l’effondrement de la monarchie austro-hongroise  le Banat vit une triple proclamation à Timisoara. A la fin 1918 les bolchéviks proclament une République du Banat reconnue en 1919 par le gouvernement hongrois et les Serbes occupent Timisoara. Après une évaluation faite par une délégation la Serbie et la Roumanie conviennent de se partager le pays sur des critères démographiques : 1/3 pour les Serbes et 2/3 pour les Roumains. C’est le français, Emmanuel de Martonne, qui trace la frontière : la partie nord-est est attribuée à la Roumanie et la partie sud-ouest à la Serbie. Une petite zone ayant une population mixte est laissée à la Hongrie nouvellement indépendante (voir carte).

Combien de « Souabes du Banat » ?, à l’occasion des démarches pour un département français au Banat on parle de 150 000 âmes. 50 000 environ avaient émigrés, peu avaient pu y vivre au début, mais au fil de deux siècles la population des « Souabes du Banat » s’est développée grâce à un travail et une bonne entente avec les autres ethnies, d’autant que la culture française a été bien influente dans la littérature et l’impératrice Marie-Thérèse et son mari duc de Lorraine ont bien répandu la culture française en Hongrie et en Tchéquie. Petit à petit, pourtant, c’est la langue allemande qui s’était  épanouie surtout avec les écoles en langue allemande dont la première à été créée en 1867 après avoir été réuni au royaume de hongrie et les combats de la révolution de 1848/1849 entre les troupes serbes et hongroises.

Pendant l’entre deux guerres, l’état Roumain accorde aux minorités une grande autonomie culturelle. Les Allemands avaient mis un système bien au point d’enseignement avec, en plus, de grands ensembles artistiques professionnels et d’amateurs, des revues culturelles et avaient mis en place de nombreuses maisons d’éditions et de typographies au Banat.

L’arrivée au pouvoir du Parti National Socialiste en Allemagne va encourager les cercles pangermanistes du Banat et beaucoup de « Souabes » se laissent intoxiquer par la propagande nazie malgré une attitude d’opposition contre cette propagande par les colons « français ». Pour marquer cette opposition ils avaient envoyés un mémoire documenté dans ce sens aux gouvernements Allemands et Roumains en proposant la constitution d’une association constituée de « Souabes » d’origine française qui pouvaient prouver par des papiers leur descendance des anciens colons venus des provinces françaises. Une délégation a été reçue par le gouvernement Roumain qui a montré sa sympathie mais qui a dit qu’une telle action irriterait l’Allemagne et que pour le moment cette action était inoportune. Effectivement le gouvernement Allemand a réagi par des séries de mesures repressives contre les familles de ceux qui ont eu le courage de se déclarer d’origine française.

Un décret-loi du 21 novembre 1940 constitue un groupe ethnique allemand de Roumanie qui inclut tous les citoyens roumains d’origine allemande quelque soit leur option politique. Cette nouvelle organisation politique inscrit dans ses rangs non seulement les citoyens roumains d’origine allemande mais aussi toute les familles qui parlaient la langue allemande.

Ce « Groupe Ethnique Allemand » devient une organisation avec statut juridique directement subordonnée à la capitale du troisième Reich (Etat allemand nazi, commandé par Adolph Hitler de 1933 à 1945).

Après le déclanchement de l’attaque contre la Yougoslavie, puis contre l’URSS  (Les Allemands avaient eu l’appui de la Roumanie) en 1941 de nombreux jeunes gens « Souabes du Banat » s’enrôlent volontairement dans l’armée allemande.

Après les grands dommages qu’ont soufferts les allemands contre le front URSS, l’Allemagne demande à la Roumanie d’accepter que les jeunes citoyens roumains de nationalité allemande puissent faire leur service militaire dans les troupes SS et que les hommes plus âgés puissent travailler dans l’industrie de guerre. Le 12 mai 1943 l’état roumain signe un accord qui permet l’encadrement de 70 000 jeunes allemands dans les troupes SS. De nombreux « Souabes » refusent l’enrôlement mais, passant outre les dispositions de l’accord, les recruteurs  adoptent des attitudes brutales : menaces de mort pour la famille, coups, violations de domicile, destruction de propriété, séquestrations etc…  Malgré les tentatives faites par le gouvernement roumain et l’opposition démocratique pour casser l’alliance de la Roumanie avec l’Allemagne de nombreux jeunes « souabes » sont incorporés de force les troupes SS.

Après le coup d’état du 23 août 1944 contre le gouvernement Roumain, la Roumanie a retourné les armes contre l’Allemagne, une « association des descendants d’anciens colons français du Banat » se constitue aussitôt pour propager la langue et la civilisation française en vue de récupérer leur ancienne nationalité.

La défaite allemande n’arrête pas la marche de l’armée URSS en Roumanie/Yougoslavie faisant de nombreuses victimes parmi les civils.

Des familles entières s’entassent dans des chariots pour quitter leur pays : le Banat.

Peu arriveront en France : en Alsace et Lorraine. Peu y sont restés, la plupart sont partis aux Etats Unis.

Beaucoup ont été envoyés en URSS, en représailles, pour participer au « travail de reconstruction » (20 000). Les autres sont enfermés dans des camps de travaux forcés en Autriche « accusés d’être déloyaux envers le nouveau régime communiste » ensuite renommés « colonies de travail ».

La peine a été plus sévère pour les « français du Banat » accusés, entre autre, d’avoir créé l’ « association des descendants d’anciens colons français du Banat » la cataloguant de mouvement opportuniste dont le seul but serait le détournement de ses adhérents du régime appliqué à la population allemande.

Un de ces hommes Jean Lamesfeld, instruit, avait qu’une chose en tête : permettre une vie meilleure à tous ces Banatais enfermés et maltraités. Il réussit à en faire passer quelques uns à l’ouest en procurant des pièces d’identité de nationalité différentes.

Une légende  lui accrédite l’affaire du message à Robert Schuman… « A la demande de Jean Lamesfeld une poupée en tenue folklorique banataise (très semblable aux costumes traditionnels lorrains) est fabriquée par les femmes de la communauté prisonnière. Lamesfeld rédige une missive relatant l’épopée des Lorrains du Banat, la glisse dans l’un des jupons de la poupée et l’envoie à Robert Schuman tout juste nommé président du conseil. Nous sommes en 1947. Même si il a d’autres chats à fouetter, Schuman lui répond touché à son âme lorraine. Il fera tout ce qui est possible pour rapatrier ces Lorrains exilés depuis plusieurs générations ».

Parole tenue. Un an après l’épisode de la poupée 10 000 réfugiés arrivent en France. Certains repartent vers la République Fédérale d’Allemagne, d’autres se fixent en Alsace.

De 1950 à 1966 des banatais se fixent à La Roque Sur Pernes. Ils réhabilitent les maisons et exploitent les terres abandonnées. Le village revit. Aujourd’hui le village compte 461 habitants.

 
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