FIGURES DE l'IMAGINAIRE : LES GROTESQUES |
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Figures de l’imaginaire : l’Art Grotesque. La Culturothèque – Michèle L’Art Grotesque ? Les « grottesques », les « crotesques » Le « grotesque », ou la « grotesque » ou Art Grotesque est un art tellement familier, déjà vu, que l’on passe à côté sans s’interroger, sans souvent même le voir…. Grotesque comme grottes bien sûr, mais aussi comme monstrueux, comme caprice. Ce mot « grotesque » a plusieurs sens. Aujourd’hui nous allons nous intéresser à l’Art Grotesque. On a ainsi appelé a un art que l’on avait aussi nommé aussi : «l’ornement sans nom ». Vasari[1] l’a qualifié d’un type de peinture « libre et cocasse ». En fait il s’agit de motifs d’ornementation qui reproduisent des sujets assez bizarres voire délirants. Mais pourquoi le, le ou la « Grotesque », ce vocable ne vous dit probablement rien. Il tirerait son origine à l’argot romain de la Renaissance qui qualifiait une peinture onirique et qui était très à la mode et toujours accueillie avec amusement ? Le mot grotte est emprunté à l’italien grotta qui remplace à la même époque (1537) le mot français croute = crote issu du latin crupta (crypta) ayant pour origine le verbe grec kruptein « cacher, couvrir ») André Chastel, dans son livre, nous restitue un texte de Florimond Robertet, clerc de notaire qui parlait d’ « Une grande cuvette faite en fontaine, où sont de ces gentilles crotesques nouvellement inventées qui jettent mille fleurons à petits jambages tordus, portant les uns des paysages sur de simples lignes, mesmes des elephants, des bœufs et des lyons, des chevaux, des chiens et des singes, des paons, des herons et des chahuants, des vases, des lambes et des grenades de feu d’artifice, des aspics, des lezards et des limaçons, des abeilles, des papillons et des hannetons, des fées, des masques, des cornes d’abondance et autres fanfares ». Le « grotesque » est donc une représentation d’images qui relève à la fois du comique et du tragique, du rire et de la peur… Dans l’histoire de l’Art il est parfois qualifié d’illusion fantastique et parfois de la caricature et de la satire… mais tous les auteurs s’accordent à chercher la définition dans les Essais de Montaigne qui décrit le travail d’un peintre de l’époque[2] « il choisit le plus bel endroit et milieu de chaque paroy, pour y loger un tableau élaboré de toute sa suffisance ; et, le vide tout au tour, il remplit de crotesques, qui sont peintures fantasques n’ayant grâce qu’en la variété et étrangeté ». A l’époque de Montainge, en 1580, les « crotesques » étaient depuis plus d’un siècle un mode familier de l’art. Historiquement on trouve leur origine dans les fantaisies peintes dans la Rome Antique. En effet, la décoration romaine du second style (100-20 av. J.-C.) présentait déjà des fruits, des masques et es personnages hybrides, anthropomorphes (sirènes, satyres, centaures ….) ou zoomorphes (chevaux ailés, griffons….). (Voir images de La maison d'Auguste (en latin : Domus Augusti) (qui est la résidence de l'empereur Auguste, dite Maison de Livie. Versant sud-ouest du Palatin). Mais le mot est lié à la découverte, vers les années 1480-1490, des fresques et des décors antiques dans les salles sous-terraines de la Maison Dorée (Daumus Auréa) de Néron et on avait pris l’habitude de nommer ces salles antiques « les grottes » parce qu’elles se trouvaient enfouies sous le sol et par extension on a donné le nom de « grotesques » aux ornements qui les décoraient. Ces peintures que Montaigne qualifiaient de « fantasques » exprimaient à l’époque une nouvelle forme de création fantaisiste cherchée dans l’imagination. A l’époque on ne se privait pas de les trouver audacieuses voire impertinentes mais pour la définition plus précise on s’en remet une nouvelle fois à Giorgio Vasari qui définit le sujet comme ceci « Les grotesques sont une catégorie de peinture libre et cocasse inventée dans l’Antiquité pour orner les surfaces murales et où seules les formes en suspension dans l’air pouvaient trouver place. Les artistes y représentaient des difformités monstrueuses créées du caprice de la nature ou de la fantaisie extravagante d’artistes. Ils inventaient ces formes en dehors de toute règle…. Celui qui avait l’imagination la plus folle passait pour le plus doué ». L’Art grotesque est donc exactement l’antithèse de celui de la représentation de l’art classique. Même à l’époque antique on trouve ses détracteurs… Vitruve[3] le qualifie de « goût dépravé » et critique le mélange de l’humain, de l’animal et du végétal, qui contrairement aux artistes de la Renaissance que trouvent que cette confusion peut devenir bien fructueuse. Dans les œuvres de la Renaissance on trouve les premières représentations de grotesques dans les décors du Pinturicchio, Domenico Ghirlandaio, Raphaël et Michel-Ange. Voir : la « loggia du palais du Vatican » - La « Grotte de Madame » (« Grottcina della Madama » ou « delle Capre » -des chèvres ») qui se situe dans le Jardin de Boboli commencée par Vasari puis continuée par différents artistes (Bartoloméo Ammanati, Bernardo Buontalenti …, grotte pour honorer Jeanne d’Autriche, femme de François 1er de Médicis, achevée dans le goût grotesque de l’architecture du jardin à l’italienne) - Au Palazzo Vecchio (Marco Marchetti vers 1556-1557) - Au Château St Ange à Rome (Par Perino del Vaga veers 1540-1545) (images). Exemple - Palazzo Vecchio – Plafond. Une femme, coiffée d'une fleur, se tient en équilibre sur une autre fleur. Elle porte sur son bras un voile, un manteau qui ressemble lui encore à une fleur (voir image). En réalité la fleur qui la soutient est plantée dans un socle en pierre, duquel partent deux longs foulards reliés à un dais. Ils ne reposent que sur de très fines tiges (image) Reculons encore un peu. (image) Au-dessus de ce dais, des angelots, un autre monstre, à droite des servantes, un feu, un autre dais, d'autres monstres ailés ou non, deux oiseaux au long cou peints sur un fond rouge pompéïen, un personnage dans un grand médaillon (image). Dans le monde de l'art grotesque, tout est relié à tout, depuis ces membres humains et animaux assemblés au sein de corps monstrueux jusqu'à un vaste réseau d'êtres vivants, de végétaux et d'éléments architecturaux qui couvre la totalité du mur ou du plafond. Une scène en inclut elle-même d'autres. Les lois de la gravité sont remises en cause : les créatures sans membres sont trop grosses pour être soutenues par les piliers filiformes, trop faibles pour soutenir le dais. La verticalité du dais et la position des personnages montrent toutefois qu'il y a toujours un haut et un bas, une force qui va de l'un vers l'autre et courbe les tissus suspendus. Les objets tomberaient s'ils n'étaient pas soutenus ; mais le support le plus infime suffit à les retenir. La pesanteur existe toujours mais n'obéit plus à un corpus de lois physiques cohérent. Du coup il n'y a plus d'effet ni de cause. Les créatures sans membres soutiennent-elles le dais ou y sont-elles au contraire accrochées ? Exemple – Vitrail d’Ecouan. Dans ce vitrail d'Ecouen, pourquoi le satyre joue-t-il du cor ? Le monstre à la tête d'enfant qui tient un coquillage est-il une sirène dangereuse ou un ange gardien ? Exemple : Plafonds de la Galerie des Offices. Sur les plafonds de la galerie des Offices, on verra des petits paysages, de faux tableaux classiques, des scènes de guerre ou d'amour : tandis que les Médicis accrochent sur les murs les plus grands chefs d'œuvre du monde connu, leurs décorateurs peignent sur les plafonds du couloir la parodie de ce musée. En France elles sont diffusées par Domenico del Barbiere (1566) dit aussi Dominique Florentin, sculpteur, qui a travaillé dans la galerie François 1er au Château de Fontainebleau. Il est mentionné comme peintre et imagier et est connu pour être un remarquable graveur au burin et il y exécute la plupart des estampes. On dit de lui qu’il a su être l’interprète intelligent de Michel-Ange. C’est donc lui qui a répandu des modèles de grotesque que l’on retrouve dans la décoration murale mais aussi dans le textile à Fontainebleau. Il a répandu en particulier des modèles de grotesques de type italien et que l’on retrouve dans la décoration murale et l’art textile. Michel-Ange ? Michel-Ange était présent lorsqu’on a exhumé de la Maison Dorée le groupe hellénistique de Laocoon et ses enfants. C’est l’image d’un supplice ordonné par un dieu sans amour, étranger encore à l’enseignement des Evangiles. Les serpents qui se lovent autour du réprouvé façonnent la figure du serpent. On en retrouve le souvenir dans les arabesques, par courbes et contrecourbes où se logent les acrobaties des grotesques (images). En tout cas la redécouverte des œuvres de la Maison Dorée ont eu un grand retentissement sur la génération des artistes du XVIe siècle. Ils en connaissaient l’existence par les témoignages de Vitruve mais ne connaissaient pas les images. Ce qui les a fascinés c’est que ces images sont opposées aux valeurs qu’ils avaient de l’Antiquité : la noblesse, la régularité harmonieuse… Et là, surprise ils découvrent que les images peuvent laisser libre court à l’imaginaire et aux caprices. Les peintres « maniéristes » vont se saisir de cet héritage ancien car on ne pourra pas leur reprocher d’infidélité vis-à-vis de l’Antiquité et les décors « a la grotesque » vont rapidement être reproduits et, diffusés par la gravure, ils vont se répandre, tout au long du XVIe siècle sur d’innombrables murs, voûtes et plafonds. Et si vous visitez des palais Italiens ou Français de l’époque Renaissance vous pourrez chercher des animaux grimaçants, des masques difformes, des fleurs qu’on ne trouve pas dans la nature et tant d’autres choses…. Mais en connaisseurs, vous en chercherez les traits anti-classiques des grottesques c'est-à-dire : · L’absence de perspective au profit d’un espace plan en deux dimensions et donc dépourvue de profondeur. · De la saturation de l’espace par une accumulation de motifs décoratifs non-fonctionnels (feuilles d’acanthe ou de vigne qui s’enroulent à l’infini). · Hybridité, prolifération des monstres, fusion des espèces, mélange des règnes animal et végétal, éventuellement même le triomphe de la non différenciation de distinction. · On peut dire aussi que les grotesques sont du côté du chaos et non de l’ordre, ou du moins c’est le prétexte à la puissance créatrice sans limite d’une nature débridée et incontrôlable, foisonnante et comique. · On peut penser que la parodie l’emporte, c’est la raison que le terme de « grotesque » va trouver son de « grottesque » synonyme de bizarre et étrange. · Le refus de la composition, l’un des principes du classique : la discontinuité, la dispersion et la désarticulation s’opposent aux beaux ordonnancements illustrés par les maîtres du Quattrocento. · On peut parler aussi du refus de la raison : on bascule dans le rêve, même dans la sensualité, souvent même accentuée. · Mais on peut s’accorder que les grotesques sont un privilège à la grâce raffinée des parties au détriment de l’équilibre de tout ! Les grotesques seulement en œuvres picturales ? Non on retrouve le grotesque dans le répertoire des tissus : dans les soieries de Lyon on retrouve des copies « d’anciens » avec des cellules enchainées dont les grotesques avaient répandu l’usage. Dans le décor des velours de soie dits « velours de Gênes » aussi…. Dans les indiennes. (images) On trouve l’art grotesque dans les objets décoratifs, dans les décorations de toute sorte. (images) Mais aussi en littérature, la contrepèterie, le calembour, l’énumération hagarde, en fait tout ce qui refuse la description. Au XVIe siècle en France, en Italie, en Allemagne les auteurs sont friands du burlesque et le comique y nait du massacre du langage sur l’exemple du Teofilo Folengo qui avait écrit « Les Macaronices libri XVII » (1517). Ces manifestations de subversion verbale est si cocasse que le comique va s’inspirer de ce massacre du langage parallèlement à l’aventure de la grotesque. En France, Rabelais va s’exercer dans cette aventure : « Je prenais – dit Epistémon- un singulier passetemps à les voir (les damnés). – Comment ? dit Pantagruel. – L’on ne les traite pas, dis Epistémon, si mal que vous penseriez ; mais leur état est changé en estrange façon. Car je vis : Alexandre le Grand qui rapetassait de vieilles chaussures, et ainsi gagnait sa pauvre vie. Serxès[4] criait la moutarde. Darius estait cureur de retraits. Lancelot du Lac[5] estaoit écorcheur de chevaux morts. Charlemagne estoit houssepaillier (palefrenier). Le pape Jules crieur de petits mâtés. Le pape Alexandre estoit preneur de rats. Le pape Sixte, gresseur de vérole, Cléopatra estoit revendresse d’oignons ». (Pantagruel, Des nouvelles des dyables)… Vingt ans plus tard dans le quart livre il écrit : « … a la cervelle en grandeur, couleur, substance et vigueur semblable au couillon gauche d’un ciron mâle : … les membranes, comme la coqueluche d’un moine/les tympans comme un moulinet/ les nerfs comme un robinet/la salive comme une navette/le gosieur comme un panier vendangeret/l’estomac comme un baudrier/le cœur comme une chasuble/les pensées comme un vol d’étournaux/le jugement comme un chaussepied/la raison comme un tabouret »/….. « le tympan comme un potiron/les yeulz comme un estuy de peigne/la langue comme une harpe/les chevaux comme une décoration…. »/ …. « s’il mouchait c’était aiguillettes salées/ s’il rotait c’étaient huîtres en escale/s’il discourait c’était neiges d’antan ». D’ailleurs un auteur, inconnu à l’époque, (François Desprez) n’a pas hésité à publier un recueil de dessins « les Songes drolatiques de Pantagruel » qui représentent les « monstres de Pantagruel ».(images) Je laisse la conclusion à un poète du XVIe siècle, peut-être Perino Del Vaga qui a écrit un court poème sur le sujet (peut-être pour justifier la propagation de ce nouveau décor) : « Poète et peintre vont de pair./Leur ardeur tend au même but./Comme on le voit bien sur ces feuilles/Le rinceau vaut bien la peine de l’artiste./Rome nous en fournit le modèle,/Rome asile de tout beau génie:/De ses grottes où il ne fait jamais jour/Vient tant de lumière au si bel art ».[1] - Giorgio Vasari est un peintre, architecte et écrivain italien du XVIe siècle qui a écrit sur la vie des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes de son temps et ses écrits sont considérés comme fondateurs de l’histoire de l’art. Son nom est très connu par le « corridor de Vasari » qui est un passage protégé et couvert qu’empruntaient les Médicis pour traverser l’Arno du Palais Pitti pour se rendre au Palazzo Vecchio et ainsi traverser l’Arno au-dessus du Ponte Vecchio (Florence).
[2] - Essais, liv. I chap XXVIII. [3] - Architecte Romain qui a fait le traité De Architectura dont nous viennent l’essentiel des connaissances sur les techniques de constructions de l’Antiquité classique… Ce traité avait été copié par Pétrarque….
[4] - Vieux roi perse – Comme Darius. [5] - héros de roman de chevalerie |
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